mercredi 26 février 2020

Retraite des avocats - débats à l'Assemblée

Assemblée nationale
XVe législature
Session ordinaire de 2019-2020

Compte rendu
intégral (extrait)

Avertissement : version provisoire mise en ligne à 15:10

Première séance du mardi 25 février 2020

Présidence de M. Richard Ferrand


M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 11686 et 11687.

La parole est à M. Fabrice Brun, pour soutenir l’amendement no 11686.
M. Fabrice Brun. Nous souhaitons supprimer le mot « universel » à l’article 2, comme il conviendrait d’ailleurs de le faire dans tout le texte. Vous me répondrez que nous avons déjà eu ce débat, et nous pouvons en convenir.

En revanche, l’article 2 nous fournit le sujet d’un autre débat, qui ne fait que commencer, sur la situation des avocats pour lesquels l’universalité proposée est un leurre. Pourquoi tenons-nous tellement à porter ici la voix des avocats ? Nous voulons témoigner du fait que cette profession est fragilisée par la refonte des tribunaux d’instance, par la réforme de l’aide juridictionnelle et par la numérisation – et même l’uberisation – de la justice.

Il faut mesurer aussi les grandes disparités qui existent dans cette profession. À cet égard, j’aimerais vous entendre dire avec nous que les avocats ne sont pas des nantis. Pour éclairer nos débats, je vais prendre l’exemple de mon département, l’Ardèche, qui compte 330 000 habitants et est donc représentatif de cette belle France des territoires. En Ardèche, les deux tiers des avocats ont des revenus annuels inférieurs à 35 000 euros et, pour la plupart, ils tirent la moitié de leur activité de l’aide juridictionnelle. Rappelons que cette activité est rémunérée à hauteur de 256 euros par dossier.

Nous avons déjà dénoncé le hold-up que vous organisez sur cette caisse autonome qui ne coûte pas un sou au contribuable et qui alimente déjà la solidarité nationale à hauteur de 80 millions d’euros par an. Pour ma part, je voudrais ajouter que, dans ce contexte de fragilité, il est suicidaire d’augmenter leurs cotisations. Ce n’est pas votre abattement sur la contribution sociale généralisée – CSG – qui réglera le problème : cette disposition est insuffisante mais aussi nulle et non avenue puisqu’elle est inconstitutionnelle.

Une fois de plus, dans cet hémicycle, nous vous alertons solennellement sur le risque de voir disparaître les avocats de proximité, avec tout ce que cela comporte comme menaces pour les greffes et les emplois induits. Après les déserts médicaux, se profilent les déserts judiciaires.
M. le président. Merci, monsieur Brun.
M. Fabrice Brun. Pour conclure, monsieur le président, je dirai que tout le monde a le droit d’être défendu, et ce, en tout point du territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement no 11687.
M. Marc Le Fur. M. Brun a parfaitement exprimé les choses.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas Turquois, rapporteur. Les amendements concernés demandent la suppression du mot « universel » et j’y suis défavorable. Comme vous l’avez rappelé, cher collègue, nous en avons déjà longuement débattu.

En ce qui concerne les avocats, vous avez fait un très bon diagnostic de la situation, comme ce fut le cas, hier, pour les agriculteurs. Les avocats sont plus nombreux et certains d’entre eux rencontrent des difficultés, notamment parce que leur activité dépend beaucoup de l’aide juridictionnelle et de dossiers liés au droit de la famille qui sont parfois mal rémunérés. Si certains avocats ont des situations confortables, beaucoup d’entre eux ont des difficultés.

Nous devons répondre aux difficultés de ces avocats comme nous devons le faire pour les agriculteurs ou les pêcheurs : la retraite n’est que le reflet de la vie professionnelle ; la pension est faible quand les revenus l’ont été.
M. Fabrice Brun. Alors, il ne faut pas augmenter les cotisations !
M. Nicolas Turquois, rapporteur. Les questions relatives aux avocats seront abordées plus loin,…
M. Fabrice Brun. Peut-être !
M. Nicolas Turquois, rapporteur. …au moment où nous en viendrons à l’intégration de leur régime dans le système universel.

Quant à vous, monsieur Quatennens, il va falloir renouveler vos arguments. Pour résumer, vos interventions portent tantôt sur la contestation de l’existence de quarante-deux régimes – hier, à un moment où vous étiez absent, j’ai indiqué que ces quarante-deux régimes étaient parfaitement définis à la page 194 du rapport –,…
M. Ugo Bernalicis. Ce sont des combinaisons !
M. Nicolas Turquois, rapporteur. …tantôt sur les seuils de huit ou trois PASS, tantôt sur les conséquences de la réforme pour les femmes ou pour les agriculteurs.
M. Ugo Bernalicis. Sans parler des avocats ! Ou des chômeurs ! En fait, cela concerne tout le pays !
M. Nicolas Turquois, rapporteur. Vous tournez en boucle sur ces thèmes. Essayez de travailler sur le fond, ça changera ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur le député Brun, je comprends que le sujet des avocats puisse vous tenir à cœur mais il me semblait que nous l’avions déjà traité hier soir en étant à peu près exhaustifs. Nous avons des différences d’appréciation, ce que je peux comprendre aussi, mais il est explicitement prévu dans le projet de loi – je vous ai donné les références, par exemple l’alinéa 22 de l’article 50 – que les réserves de toutes les caisses autonomes spécifiques ne seraient pas touchées. C’est dans le texte, on ne peut plus en douter.
M. Fabrice Brun. Vous dites qu’ils doivent contribuer, participer !
M. Ugo Bernalicis. Et l’amendement que vous avez déposé à ce sujet ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Nous en revenons toujours au même débat alors que vous souhaitez, il me semble, que nous avancions dans l’examen du texte. Convenons que nous ne sommes pas d’accord sur le sujet et qu’il y a encore du travail à faire avec les avocats – qui ont toute leur place dans le système universel. Réaffirmons que les avocats, comme tous les membres de professions libérales, resteront propriétaires des réserves qu’ils ont constituées et qui resteront à leur main – ce qui est très bien comme cela. Cherchons des solutions, même si j’ai bien compris que le projet du groupe LR était différent du nôtre – le président Woerth, hier, semble avoir approuvé le résumé que j’en avais fait.

Notre projet propose une large universalité. Le vôtre consiste à la limiter à un PASS, en laissant vivre des cas spécifiques par statut et par métier.
M. Fabrice Brun. Et on n’augmente pas les cotisations !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Souffrez que nous ne soyons pas d’accord ! Par ailleurs, il n’arrivera rien de négatif aux avocats, mais – et vous avez raison sur ce point, monsieur Brun – il reste du travail à faire pour alléger les charges de ceux dont les revenus sont relativement modestes – autour de 30 000 euros annuels.
M. Fabrice Brun. Merci de le reconnaître, monsieur le secrétaire d’État !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Je le répète, nous réalisons ce travail avec les représentants des avocats. Nous avons préparé des amendements sur le sujet, afin notamment de maintenir une péréquation  entre les cabinets d’avocats prospères et ceux qui le sont moins, par exemple ceux qui dépendent de l’aide juridictionnelle. La représentation nationale aura donc l’occasion de s’exprimer sur le sujet.

Mon avis est donc défavorable, mais je voulais prendre le temps de renouer le dialogue en dépit de la controverse.
M. Fabrice Brun. Merci !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Du reste, la controverse est toujours intéressante parce qu’elle fait avancer le débat.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah, vous voyez bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà qui est plus aimable, monsieur le secrétaire d’État, que les propos tout à fait désagréables de M. Turquois ! Pourquoi, monsieur le rapporteur, voulez-vous dicter à M. Quatennens ce que doivent être ses arguments ? Dites que vous les rejetez, mais évitez de faire des commentaires sur leur articulation ou leur caractère répétitif.

Du reste, pourquoi répète-t-il ses arguments ? Parce que l’une de nos collègues, Mme Fabre, a dit qu’elle ne nous comprenait pas. Si vous ne nous comprenez pas, on vous explique.
M. Erwan Balanant. Nous aussi, on vous explique !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous ne comprenez pas pourquoi nous réclamons des régimes particuliers, que vous appelez spécifiques, alors que nous reprochons à votre système de ne pas être universel. Bien sûr ! C’est vous qui avez commencé en disant : il y a quarante-deux régimes, c’est illisible, donc nous faisons un régime universel. Nous vous avons dit dès le début que ce n’était pas possible : les régimes spéciaux ont une longue histoire et répondent à des nécessités liées aux métiers qu’ils concernent.

Il est donc parfaitement naturel de parler du régime de retraite des marins qui, cela a été rappelé, a quatre siècle, même s’il a évidemment changé depuis sa création. Il faut dire que la marine faisait l’objet d’un soin méticuleux. Figurez-vous que le roi Louis XIV alla jusqu’à faire planter, dans la forêt de la Joux, des sapins dont certains s’y trouvent toujours.
M. Erwan Balanant. Ce sont des chênes !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous pouvez aller voir cette plantation de sapins  Des chênes ! » sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM) destinés à la marine nationale : c’est un monument du colbertisme français
M. Erwan Balanant. Le bois de sapin ne convient pas à la construction navale !
M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà pourquoi nous sommes obligés de vous expliquer que ces régimes, que vous rebaptisez « spécifiques », répondent à des nécessités. Par conséquent, le système n’est pas universel. Il n’y a qu’une chose qui soit universelle : la transformation en points de ce qui était autrefois évalué en trimestres cotisés. Ces points sont votre seule invention, et vous les avez créés pour préparer la capitalisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
M. Adrien Quatennens. C’est de la poudre de perlimpointpoint ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-René Cazeneuve.
M. Jean-René Cazeneuve. À gauche de notre hémicycle, les députés sont favorables aux régimes spéciaux, aux régimes autonomes. C’est assez logique, même si dans le même temps, ils nous reprochent d’en créer de nouveaux alors que, somme toute, ils devraient être contents !

Ma surprise vient plutôt de vous, mes chers collègues qui siégez sur les bancs de droite, dont j’attendrais éventuellement une clarification. Dans vos programmes successifs, vous vous êtes prononcés contre les régimes spéciaux. De même, au cours des débats – M. Woerth, par exemple, l’a dit hier à propos de la pénibilité – vous avez réclamé un socle d’universalité. Êtes-vous, oui ou non, pour la fin des régimes spéciaux ? Dites-le nous pour que nous puissions enfin comprendre votre position, au lieu de nous balader en disant une fois oui, une fois non. (Applaudissements sur les quelques bancs du groupe LaREM.)

Pour notre part, nous sommes cohérents depuis le début. Nous sommes favorables au régime universel. Pourquoi ? En regroupant tous les Français et en mettant plus d’argent, nous créons un régime beaucoup plus robuste, pérenne et capable de résister aux fluctuations démographiques de tel ou tel métier.
M. Fabrice Brun. Toutes les professions concernées sont vent debout contre votre réforme !
M. Jean-René Cazeneuve. Nous sommes pour un régime universel parce qu’il est plus protecteur pour l’ensemble des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Éric Woerth.
M. Éric Woerth. Je ne savais pas que M. Cazeneuve était communiste – la nouvelle réjouira M. Jumel ! Un régime universel, valant pour tout le monde quelles que soient les situations, correspond à une vision très collective des choses.

Pour notre part, nous souhaitons un socle commun de droits – nous avons retenu un seuil de prélèvement de un PASS – et des régimes autonomes pour tenir compte des particularités de certaines professions.
M. Marc Le Fur. Tout à fait !
M. Éric Woerth. Dans ce cadre, nous prônons une fusion entre le secteur privé et le secteur public : nous voulons que les salariés et les fonctionnaires soient traités de la même manière, tout en faisant en sorte que puissent vivre des régimes totalement autonomes, comme celui des avocats. Il y a une logique ! Vous nous reprochez de nous répéter mais nous avons visiblement besoin de le faire puisque cette information n’était pas parvenue jusqu’à vos oreilles.
Mme Marie-Christine Dalloz. Vous en redemandez !
M. Ugo Bernalicis. Cela ressemble à de l’obstruction…
M. Éric Woerth. S’agissant des avocats, ce sont les plus modestes qui vont souffrir du régime que vous voulez leur imposer : leurs cotisations vont terriblement augmenter. Ces avocats ne croient pas à vos propositions de compensation au travers de mécanismes du type réduction d’assiette de CSG, notamment parce que ces mesures sont fragiles et qu’elles peuvent être remises en cause chaque année. Tout cela crée une instabilité, une insécurité pour ces professions qui n’en ont franchement pas besoin.

En réalité, c’est la CSG et la ponction sur la caisse des avocats qui paieront le régime de transition pour les avocats. Il s’agit, en quelque sorte, d’un droit d’adhésion au régime universel !

Vous ne cessez de répéter, enfin, que des travaux sont en cours sur le projet de loi. Il ne devrait y avoir, selon moi, qu’un seul lieu possible pour ces travaux : l’Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Fuchs.
M. Bruno Fuchs. En ce qui concerne les avocats, la discussion que nous devons avoir avec eux, dans un climat de confiance, ne doit pas se limiter à la question des retraites. Cette question, au fond, est d’ailleurs assez simple : la négociation a beaucoup progressé puisqu’ils ont désormais l’assurance que leur cotisation n’augmentera pas avant 2029. Compte tenu de l’abattement de 30 % sur l’assiette de la CSG et de l’augmentation de 2 % des cotisations décidée par la CNBF, la Caisse nationale des barreaux français, il reste à trouver le moyen de compenser l’augmentation de 5,5 à 6 % prévue pour la période 2029 à 2040. Or il semble possible d’avancer sur ce point dans le cadre de la négociation. Un accord ne semble plus très loin.

J’entends les avocats, notamment ceux de ma circonscription, dire que 40 % des cabinets vont fermer, mais ce n’est pas sérieux !
M. Éric Diard. Pourquoi ?
M. Bruno Fuchs. Parce que ce n’est pas la réalité !
M. Ugo Bernalicis. Mais si ! Et cela n’est pas seulement dû à la réforme des retraites !
M. Bruno Fuchs. Au contraire, dans le cadre des discussions qu’ils mènent avec le Gouvernement, les avocats ont l’opportunité de définir des conditions plus favorables pour leur profession – c’est d’ailleurs le cas également des agriculteurs et d’autres professions en difficulté.
M. Marc Le Fur. Il faut le faire pour les agriculteurs ! Vous ne faites rien pour eux !
M. Bruno Fuchs. La position de nos collègues du groupe Les Républicains est facile – ils critiquent –, mais permettez-moi de rappeler que Nicolas Sarkozy avait demandé, en septembre 2007, au gouvernement de l’époque de mettre un terme aux régimes spéciaux et que cinq ans plus tard ils étaient toujours là, malgré des mesures dont le coût a été estimé à 5 milliards d’euros. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.)

Vous le voyez, chers collègues, il plus difficile d’agir que de critiquer ! Vous avez eu cinq ans pour réformer les régimes spéciaux, le président Sarkozy vous l’avait demandé, mais vous ne l’avez pas fait. (Vives protestations sur les bancs du groupe LR.)
M. Ugo Bernalicis. Laissez donc votre place, nous sommes prêts à la prendre !
M. le président. La parole est à M. Hubert Wulfranc. (M. Bruno Fuchs échange des propos avec M. Éric Diard.) Chers collègues, si vous voulez poursuivre la discussion, faites-le en dehors de l’hémicycle.
M. Thibault Bazin. Monsieur le président, défendez Sarkozy : il a fait des choses !
M. le président. Vous avez la parole, monsieur Wulfranc.
M. Hubert Wulfranc. Nous parlons d’universalité, mais que recouvre ce concept en réalité ? Revenons sur le fond de votre système prétendument universel.

Certaines professions ont légitimement acquis des droits : ce sont les fameux régimes spéciaux. Grâce à cela, elles bénéficient de pensions convenables et même meilleures que d’autres salariés. Néanmoins, et nous vous le répéterons tant qu’il faudra, l’objectif de nos différentes propositions est de tirer vers le haut les pensions de retraite et non, sous couvert de présenter le nouveau système comme universel, de tirer vers le bas les régimes spéciaux ! Or – revenons, ici aussi, aux fondamentaux – des recettes sont disponibles pour améliorer les droits à la retraite d’autres professions.

Je pense notamment aux salariés d’une filière en forte croissance, celle du traitement des déchets – nous avons tous en mémoire la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire récemment adoptée. Le caractère pénible des conditions de travail de ces salariés sur le terrain doivent, selon nous, être reconnu afin qu’ils bénéficient de pensions bien supérieures à celles que vous promettez. Il en va de même de la filière de l’hôtellerie et de la restauration,…
M. le président. Merci, monsieur Wulfranc.
M. Hubert Wulfranc. …à laquelle on promet un bel avenir dans notre pays mais qui dont les salariés ne bénéficient pas de pensions de retraite à la hauteur de leurs conditions de travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
(Les amendements identiques nos 11686 et 11687 ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Dharréville, pour soutenir l’amendement no 26738 et les quinze amendements identiques déposés par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Pierre Dharréville. Il s’agit d’amendements pour nous mettre en jambe ! Notre désaccord est clair, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État : vous jugez votre système universel, nous le jugeons inéquitable.

Je saisis l’occasion pour vous interroger de nouveau sur les différences qui existeront entre deux personnes qui auront eu une carrière similaire mais qui seront nées pour l’une en 1974 et pour l’autre en 1976. Pouvez-vous me confirmer, toutes choses égales par ailleurs, que leur âge de départ à la retraite et leur niveau de pension seront différents, et qu’il en sera de même pour deux personnes à la carrière similaire et nées pour l’une en 2003 et pour l’autre en 2005 ?
M. Marc Le Fur. Bonne question !
M. Pierre Dharréville. Si vous me le confirmez, démonstration sera faite que nous avons raison.  
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Nicolas Turquois, rapporteur. Les amendements proposent de remplacer le mot « universel » par le mot « inéquitable ». Je le redis une fois encore, nous considérons que le système est universel parce qu’il concerne l’ensemble des Français et parce qu’il définit des règles communes pour tous, contrairement au système actuel.

La différence qui existera entre une personne née en 1974 et une personne née en 1976 sera la même qu’entre une personne née en 1972 et une personne née en 1973. Dans les deux cas, l’une bénéficiera d’un trimestre supplémentaire, conformément à la loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, dite loi Touraine.  Dans les deux cas, il s’agit d’une période de transition.

Pour une personne née en 1976, un an de la carrière sera pris en compte par le système universel de retraite : un sur quarante-trois ans. C’est donc de manière très progressive que nous allons passer d’un système à l’autre. Nous prenons le temps de la transition entre les deux différents systèmes.

Il est normal qu’une personne proche de la retraite – moins de dix-sept ans –, qui a formé son projet de retraite dans des conditions différentes d’aujourd’hui, ne soit pas concernée par le nouveau système. Pour ceux qui en sont un peu plus éloignés, les conséquences du nouveau système seront très progressives.

Avis défavorable.  
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur Dharréville, je suis là pour discuter du fond du projet de loi ! Vous avez déposé l’amendement qui vise à remplacer le mot « universel » par le mot « inéquitable » sur tous les alinéas de l’article 1er et le voilà de nouveau sur les alinéas de l’article 2.
Mme Mathilde Panot. Conformément à la décision de la conférence des présidents !
M. Pierre Dharréville. Parlez donc du fond !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Vous utilisez vos amendements pour jouer à un quiz géant avec une multitude de cas types.  
M. Fabien Roussel. Pour savoir la vérité, tout simplement ! Répondez à la question !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Si j’en crois le président de votre groupe, vous avez la volonté d’aller plus loin dans le texte. Alors faisons-le ! Passons à autre chose, je vous en prie.
M. Fabien Roussel. Répondez à la question !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Avis défavorable.  
M. le président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis. Le système sera peut-être universel, mais il sera aussi inéquitable, notamment pour les avocats.

Monsieur le secrétaire d’État, je ne vous comprends pas très bien. Vous affirmez qu’il n’est aucunement question d’utiliser les réserves des avocats dans le cadre de la réforme, mais l’amendement no 42467 du Gouvernement après l’article 2 – je vous fais grâce du dispositif, je me bornerai à vous lire le début de l’exposé sommaire – « vise à confier à la CNBF la gestion d’un dispositif de solidarité permettant de prendre en charge tout ou partie de la hausse de cotisations pour les avocats, libéraux et salariés, dont le revenu est inférieur à trois PASS. »

Par le biais de cet amendement, vous dites clairement aux avocats qu’ils doivent utiliser les réserves de leur caisse autonome pour financer la transition entre des cotisations de 14 % et des cotisations de 28 % !
M. Fabien Roussel. C’est clair ! C’est écrit !
M. Ugo Bernalicis. Pourquoi ne l’assumez-vous pas ? C’est pourtant bien ce qui se dit à la table des négociations quand la garde des sceaux, Nicole Belloubet, reçoit les avocats ! (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Bruno Questel. Ce n’est pas vrai !
M. Ugo Bernalicis. Mais vous devriez comprendre que c’est précisément ce dont ils ne veulent pas. C’est bien la raison pour laquelle ils votent la grève reconductible dans leurs assemblées générales extraordinaires.

Assumez, monsieur le secrétaire d’État ! Assumez de vouloir prendre les milliards que les avocats ont mis de côté pour financer votre réforme pourrie ! (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)

Vous voulez prendre ces milliards non pas pour qu’ils aient une meilleure retraite ou qu’ils puissent préserver leurs petits cabinets, non ! Vous voulez les prendre pour financer votre réforme pourrie ! (Mêmes mouvements.)
Mme Fiona Lazaar. Ne soyez pas grossier !
M. Ugo Bernalicis. Les petits cabinets dont nous parlons gèrent l’aide juridictionnelle et interviennent au pénal auprès des plus démunis pour garantir les libertés fondamentales de notre pays, les libertés individuelles. C’est ça que vous allez faire crever en premier ! Pour nous, c’est non !  (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme Marie-Christine Dalloz. On nous a reproché de n’avoir rien fait à l’époque du président Sarkozy. C’est pourtant   la majorité de l’époque qui a mis en œuvre la convergence entre la fonction publique et le secteur privé, et c’est elle qui a eu le courage d’allonger l’âge de départ à la retraite à 62 ans !

Vous n’avez pas ce courage-là, mesdames et messieurs de la majorité. En revanche, vous avez eu le culot d’imaginer une période de transition de quarante années – quarante années, c’est à peine croyable !

J’aimerais également rappeler aux élus de la majorité que la caisse de retraite des avocats et celle des professions libérales sont des caisses autonomes. Il ne s’agit donc pas, comme vous voulez le faire penser, de régimes spéciaux.

Les régimes spéciaux coûtent généralement à la solidarité nationale. Or la caisse des avocats est non seulement excédentaire de 2 milliards d’euros,…
M. Marc Le Fur. Elle ne coûte rien !
Mme Marie-Christine Dalloz. …mais elle contribue à la solidarité nationale à hauteur de 90 millions d’euros chaque année. Ce n’est pas, monsieur Cazeneuve, ce que j’appelle un régime spécial ! Vous devriez sans doute revoir votre définition.

Que faites-vous, pour finir, de la protection sociale des avocats et, en particulier, de l’assurance maladie ? Vous ne nous avez toujours pas répondu sur le devenir de la caisse autonome des avocats en matière de protection sociale. Nous aimerions pouvoir avoir enfin une réponse sur le sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.
M. Jean-Paul Dufrègne. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, une fois de plus, lorsque nous abordons les questions de fond, vous ne répondez pas. Vous n’avez pas répondu à la question de mon collègue Pierre Dharéville.

Pour les marins et pour bien d’autres professions, le nouveau système de retraite ne sera pas universel, mais inéquitable ! Le leitmotiv « chaque euro cotisé donnera les mêmes droits » est faux. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’espérance de vie n’est pas la même selon les catégories socioprofessionnelles.

Votre système serait juste si chacun d’entre nous disparaissait lorsqu’il atteint l’âge moyen d’espérance de vie. Ce n’est malheureusement pas le cas. Ceux qui vivent plus longtemps se font donc payer leur retraite en partie par ceux qui vivent moins longtemps. Ce n’est pas une loterie ; nous savons que certaines catégories – les ouvriers, les métiers de nuit – vivront en moyenne moins longtemps.

Sur le plan théorique, votre système est donc totalement inéquitable, d’autant que ces Français usés par un travail difficile subiront une décote s’ils partent à la retraite avant l’âge d’équilibre. C’est inacceptable !

En réalité, votre système prolonge les inégalités de la vie. C’est pourquoi nous devons parler de la pénibilité. Ce ne serait que justice que ces Français partent plus tôt à la retraite, et sans décote ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)
M. le président. La parole est à M. Sylvain Maillard.
M. Sylvain Maillard. Je ne comprends pas le raisonnement qu’a tenu tout à l’heure notre collègue Pierre Dharréville. Il a pris l’exemple d’une personne née en 1974 pour démontrer que le système actuel était plus équitable.

Prenons l’exemple d’un chauffeur de bus travaillant à Paris…
M. Pierre Dharréville. Un exemple très nouveau !
M. Sylvain Maillard. …et d’un autre, né la même année, travaillant à Tourcoing. Ils ne partiront pas à la retraite au même âge et ne toucheront pas la même pension alors qu’ils ont cotisé le même nombre d’années.  
M. Fabien Roussel. Vous vous alignez sur lequel ?
M. Sylvain Maillard. Cela, nous le savons. Allons donc plus loin.

Par contre, avec notre réforme, le chauffeur de bus né en 2008, qu’il travaille à Tourcoing ou à Paris, bénéficiera de la même pension et partira à la retraite au même âge. (Exclamations sur les bancs des groupes FI et GDR.)
M. Fabien Roussel. Lequel ? 64 ans, 65 ans ou 66 ans ?
M. Sylvain Maillard. Ce nouveau système est donc à la fois équitable et universel, ce que je viens de démontrer. (Mêmes mouvements.)
M. Cédric Roussel. C’est l’universalité de la pauvreté !
M. Jean-Luc Mélenchon. Le nivellement par le bas !
M. Ugo Bernalicis. Le ruissellement vers le haut !
M. le président. La parole est à M. Christian Hutin.
M. Christian Hutin. Je tousse un peu, mais je ne voudrais pas que l’ensemble de l’hémicycle soit confiné…

Je ne sais pas ce que cela donnerait, mais cela nous empêcherait de sortir de l’hémicycle pour entendre les questions que se posent les gens. Nous ne pourrions pas rencontrer les jeunes qui se demandent combien ils percevront de pension et à quel âge – je pense ainsi au jeune avocat qui vient de commencer son activité : comment va-t-il pouvoir payer ses cotisations qui vont être doublées ?
M. Erwan Balanant. Mais non, elles ne vont pas doubler !
M. Christian Hutin. Sortons de l’hémicycle, sortons de ce confinement, écoutons-les !

Pour les marins, c’est exactement la même chose : aucun d’entre eux n’est certain aujourd’hui que la valeur de son point sera financièrement garantie au moment de la liquidation. Leur régime de retraite trouve son origine à Fort-Mardyck, à Dunkerque dont mon ami Paul Christophe et moi-même sommes les députés, et il est extrêmement solidaire. Mais qu’est-ce qui garantit dans ce projet de loi qu’il le sera encore ? Rien !

Je vous demande de sortir de votre confinement, de renoncer à ce système universel qui ne l’est pas, de mettre fin à ces incertitudes permanentes et au risque que vous faites courir à la justice parce que les avocats qui défendent les causes les plus difficiles ne sont pas forcément ceux qui défendent les violeurs les plus abominables, ce sont aussi ceux qui aident les gens impécunieux lorsqu’ils sont parties civiles. C’est 40 % de cabinets d’avocats que vous risquez de mettre en grande difficulté.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Elimas.
Mme Nathalie Elimas. On a entendu sur ces amendements un peu tout et n’importe quoi ; il a encore été question des avocats mais aussi des réserves des caisses – fallait-il ou non les utiliser ?– ; et je suis perdue (Exclamations sur les bancs des groupes LR, SOC, FI et GDR)…
M. Christian Hutin. Vous l’êtes depuis le début ! Comme les Français eux-mêmes, d’ailleurs !
Mme Nathalie Elimas. …je n’y comprends plus rien, tant il y a de contradictions entre ce qui se dit ici et se qui est écrit ailleurs, par exemple dans le contre-projet de La France insoumise. (Mêmes mouvements  En tout cas, le système universel tel que nous le proposons offre la possibilité de réinventer le dispositif de solidarité en réduisant les écarts de pensions entre les plus fragiles et les plus aisés, entre les femmes et les hommes, et aussi en soutenant les familles et en apaisant la crainte des conséquences du veuvage.
M. Marc Le Fur. Faux ! C’est le contraire !
Mme Nathalie Elimas. Je voulais revenir, monsieur Dharréville sur votre intervention d’hier où vous avez parlé de machine infernale. Vous avez raison, elle existe : c’est le système actuel, la machine infernale des injustices, la machine infernale des petites quotités de travail qui n’ouvrent aucun droit, celle des critères de durée d’assurance qui pénalisent bon nombre de nos concitoyens, celle qui ne permet plus la linéarité dans sa profession et donc qui rend l’avenir complètement incertain. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Tout cela, vous l’avez déjà dit !
Mme Nathalie Elimas. Il faut donc répondre à l’exigence d’équité et garantir la lisibilité des retraites à travers un système universel, destiné à tous et fondé sur des règles communes, compréhensibles par tous. (Mêmes mouvements.)
(Les amendements nos 26738 et identiques ne sont pas adoptés.)

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