LES AVOCATS
Madame Nicole BELLOUBET Garde des Sceaux, ministre de la Justice
Monsieur Laurent PIETRASZEWSKI Secrétaire d’Etat chargé des Retraites
Paris, le 11 février 2020
LETTRE OUVERTE
Madame la Garde des Sceaux,
Monsieur le Secrétaire d’Etat,
L’avocat, dans notre République démocratique, est indépendant. Il exerce au sein d’un Ordre lui aussi indépendant. Les avocats ne prennent de consigne nulle part ailleurs que dans leur conscience, guidée par l’intérêt général.
Le gouvernement, dont vous faites partie, porte seul la responsabilité de ce mouvement de grève, et c’est donc à lui de trouver les solutions pour en sortir aujourd’hui, en suspendant, ou mieux, en retirant son projet de désintégration de notre régime autonome de retraite.
Sur les “engagements” du gouvernement sur les pensions :
Madame la Garde des Sceaux, dans votre communiqué de presse du 8 février, vous écrivez qu’il n’y aura pas de “baisse des pensions”. Pouvez-vous garantir cet “engagement” pour tous les avocats, quelles que soient leurs situations, dans un amendement au projet de loi ?
La veille de ce communiqué, la commission spéciale de l’Assemblé Nationale a voté un amendement à l’article 9 du projet de loi, déposé par le rapporteur, qui supprime l’indexation des pensions sur les salaires, pendant la période transitoire, et la remplace par un “indice du revenu d’activité” qui n’est pas défini à ce jour et qui se situerait manifestement au-dessus de l’inflation mais en-dessous des salaires.
Comment pouvez-vous donc affirmer que les pensions des avocats qui gagnent 32 000 euros auront une pension supérieure de 13% alors que vous ne disposez pas de l’indice permettant de calculer ces pensions pendant la durée (longue) de transition ?
Comment pouvez-vous omettre systématiquement de préciser que ce résultat est obtenu grâce au doublement du taux de cotisations retraites des avocats ? Il n’y a pas de quoi se réjouir de cotiser deux fois plus pour une augmentation de pension de seulement 13% !
De manière plus générale, pouvez-vous nous confirmer que les quelques simulations que vous avez rendues publiques concernant les avocats sont toujours d’actualité à la lecture de cet amendement ?
Sur les “engagements” du gouvernement concernant les cotisations :
Le système de compensation que vous nous proposez par la CSG et les cotisations hors retraite avec un abattement de 30% (qui nous était annoncé de 33% en octobre 2019), nous apparaît toujours aussi instable et susceptible d’être remis en cause à la première réforme des politiques sociales. Nous comprenons également, sauf précision contraire de votre part, que cet abattement serait temporaire.
Vos autres “engagements” concernant le “lissage” de la hausse des cotisations reposent tous sur le même mécanisme : imposer aux avocats de financer sur leurs propres deniers leur intégration dans le régime universel, soit un utilisant leurs réserves, soit en mettant en place une “taxe” interne à la profession sur les revenus supérieurs à 80 000 euros par an.
Sur la suite des “discussions” avec la profession d’avocat :
Dans ce contexte, l’article 45 du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (qui permet aux assureurs d’interférer dans la relation avocats/clients), est une provocation qui empêche toute reprise de contact sérieuse.
Ici aussi, nous ne pouvons que noter une fois de plus l’absence de soutien, voire le consentement de la Chancellerie face à cette nouvelle initiative contre la profession d’avocat et l’accès au droit.
Sur les conséquences du mouvement des avocats :
Vous ne pouvez pas désigner les avocats comme responsables de la dégradation du service public de la justice.
Grève ou pas grève, la justice est au bord de l’implosion. Vos récentes réformes ne sont pas étrangères à cet état historiquement alarmant. Notre système judiciaire tient aujourd’hui grâce au dévouement et à la conscience citoyenne et professionnelle des magistrats, des greffiers et des avocats, trois professions à bout de souffle.
Madame la Garde des Sceaux, Monsieur le Secrétaire d’Etat, les avocats d’aujourd’hui, que nous représentons, sont mobilisés pour tous ceux qui rejoindront notre belle profession dans les années à venir.
Nous ne sacrifierons pas les générations futures sous le prétexte de “transitions lentes et longues” ou sur la base de simulations partielles, partiales et opaques.
Nous sommes mobilisés et déterminés pour que dans cinquante ans, nos concitoyens puissent encore compter sur des avocats - et donc une justice - de proximité.
Nous vous prions de croire, Madame la Garde de Sceaux, Monsieur le Secrétaire d’Etat, à l’assurance de notre haute considération.
Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux ; Hélène Fontaine, vice-présidente de droit, présidente de la Conférence des bâtonniers ; Nathalie Roret pour le bâtonnier de Paris, vice-président de droit ; Catherine Jonathan-Duplaa, vice-présidente ; Jean-Luc Forget, vice-président ; Christian Leroy, trésorier ; Élodie Mulon, secrétaire du bureau ; Régine Barthélémy, Matthieu Dulucq, Catherine Gazzeri, Christophe Thévenet, membres du bureau
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