jeudi 29 avril 2021

Notion de faute inexcusable de l'employeur

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 avril 2021




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 309 F-D

Pourvoi n° M 19-24.213




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 AVRIL 2021

M. Q... K..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° M 19-24.213 contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2019 par la cour d'appel de Lyon (protection sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société [...], société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

2°/ à la société Lagem, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône, dont le siège est [...] , ayant un établissement [...] ,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Coutou, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. K..., de Me Le Prado, avocat de la société Lagem, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 mars 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Coutou, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. K... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la SARL [...].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 septembre 2019) M. K... (la victime), salarié de la société Lagem (l'employeur), depuis le 2 octobre 2006, a effectué le 20 octobre 2010 une déclaration de maladie professionnelle, en produisant un certificat médical initial en date du 19 juillet 2007.

3. La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône ayant pris en charge cette affection au titre du tableau n° 47 des maladies professionnelles, la victime a saisi une juridiction de sécurité sociale d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La victime fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, alors :

« 1°/ qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'il incombe ainsi avant tout à l'employeur de se renseigner sur les dangers encourus par le salarié, peu important que le risque ne lui ait pas été signalé ; qu'en écartant la conscience que devait avoir l'employeur du danger auquel la victime était exposé à son poste de menuisier, au seul motif qu'il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir été informée des problèmes de santé de son salarié, la cour d'appel a statué par un motif inopérant au regard du texte susvisé, qu'elle a donc violé par fausse application ;

2°/ qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en écartant la conscience que devait avoir l'employeur du danger auquel la victime était exposé à son poste de menuisier, tout en constatant que les risques d'une exposition aux poussières de bois étaient expressément prévus par le tableau n° 47 des maladies professionnelles, ce dont il résultait nécessairement que l'employeur ne pouvait ignorer ce danger et ne pouvait donc qu'en avoir conscience, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard du texte susvisé, qu'elle a violé par fausse application ;

3° / qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en écartant la conscience que devait avoir l'employeur du danger auquel la victime était exposée à son poste de menuisier, sans rechercher, comme le lui demandait ce dernier, si le fait que les maladies professionnelles causées par les poussières de bois étaient inscrites depuis 1967 dans le tableau n° 47 des maladies professionnelles, ainsi que l'existence de dispositions réglementaires spécifiques en matière de protection respiratoire des salariés dans l'article L. 4222-12 du code du travail et l'arrêté du 5 janvier 1993, n'établissaient pas de plus fort cette conscience du danger qu'aurait dû avoir cet employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

4°/ qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en écartant la faute inexcusable de l'employeur, sans rechercher, comme le lui demandait la victime, si, au regard des dispositions réglementaires applicables et notamment l'article R 4222-12 du code du travail et l'arrêté du 5 janvier 1993, cet employeur avait mis en place des systèmes d'aspiration ou de captation des poussières de bois efficaces et si les masques qu'il avait mis à la disposition de ses salariés étaient suffisants pour assurer leur protection, la cour d'appel n'a, de ce chef encore, pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail :

5. Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

6. Pour dire que l'employeur n'a pas commis de faute inexcusable, l'arrêt relève que la victime a été déclarée apte à son poste de menuisier le 7 avril 2009 et le 19 janvier 2010, et que ce n'est que le 18 juillet 2011 que l'employeur a eu connaissance d'une demande de reconnaissance de sa maladie professionnelle au titre du tableau n°47 faisant mention d'une première constatation médicale le 19 juillet 2007. Il ajoute que le salarié ne justifiant pas de la tardiveté de sa déclaration survenue trois ans après la première constatation médicale, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir été informé des problèmes de santé de son salarié. Il retient qu'en reprenant le fonds de commerce d'une autre société et le personnel dont faisait partie la victime, l'employeur ne pouvait pas avoir conscience du danger auquel celle-ci était exposée car elle occupait déjà son poste de menuisier depuis juin 2000 sans manifestation d'une quelconque maladie antérieurement au 18 juillet 2011.

7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du risque encouru, à la date de la première constatation médicale, par la victime exposée à l'agent nocif mentionné par le tableau comme susceptible d'entraîner l'affection considérée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. La cassation du chef du dispositif ayant rejeté la demande de M. K... en reconnaissance de la faute inexcusable de la société Lagem entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef du dispositif ayant déclaré sans objet le recours de la société Lagem à l'encontre de la société [...], précédent employeur de M. K....

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne la société Lagem aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lagem et la condamne à payer à M. K... la somme de 3 000 euros ;

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