jeudi 29 avril 2021

L'arrêt sur la QPC, à propos des décisions sans audience en l'absence d'opposition des parties

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

COUR DE CASSATION



LM


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 8 avril 2021




NON-LIEU À RENVOI


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 438 F-D

Pourvoi n° J 20-20.443



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 AVRIL 2021


Par mémoire spécial présenté le 18 janvier 2021,

1°/ Mme X... A..., épouse T..., domiciliée [...] ,

2°/ M. W... T...,

3°/ Mme R... M..., épouse T...,

domiciliés tous deux [...],

ont formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° J 20-20.443 qu'ils ont formé contre l'arrêt rendu le 18 juin 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans une instance les opposant à :

1°/ M. H... V...,

2°/ Mme Q... O..., épouse V...,

domiciliés tous deux [...].

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme A..., épouse T..., M. W... T... et Mme M..., épouse T..., de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. et Mme V..., et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mars 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, M. Girard, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Par acte du 6 mai 2015, Mme X... A..., M. W... T... et Mme R... T... (les consorts T...) ont fait assigner M. et Mme V... devant un tribunal de grande instance à fin de condamnation, sous astreinte, à procéder à la reconstruction d'un mur et à leur payer des dommages-intérêts.

2. Par jugement du 26 mars 2018, un tribunal de grande instance a débouté de leurs demandes les consorts T..., qui ont interjeté appel le 23 avril 2018.

3. L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 mars 2020 et les consorts T... ont déposé leur dossier de plaidoirie le 12 mars 2020 en vue de l'audience de plaidoirie prévue le 16 mars 2020.

4. Cette audience, fixée en période d'urgence sanitaire, ne s'est pas tenue, le juge ayant usé de la faculté prévue à l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020.

5. Par arrêt du 18 juin 2020, une cour d'appel a confirmé le jugement ayant rejeté les demandes des consorts T....


6. A l'occasion du pourvoi formé contre cet arrêt, les consorts T... ont
posé une question prioritaire de constitutionnalité.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

7. A l'occasion du pourvoi qu'ils ont formé contre l'arrêt rendu le 18 juin 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, les consorts T... ont, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« En ce qu'elles disposent que les parties sont informées par tout moyen de la décision du juge ou de la formation de jugement de statuer sans audience et en ce qu'elles prévoient qu'en l'absence d'opposition formée dans un délai de quinze jours à compter de cette information, la procédure est exclusivement écrite, les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 méconnaissent-elles la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, en ne les mettant pas effectivement en mesure de former opposition à la décision du juge de statuer sans débats ? ».

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

8. L'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, modifiée par l'ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020, qui organise la procédure sans audience devant les juridictions civiles pendant la période de l'état d'urgence sanitaire, s'il relève du domaine de la procédure civile, en principe réglementaire, met également en cause des règles relatives aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, qui relèvent de la loi en vertu de l'article 34 de la Constitution.

9. Cette disposition doit donc être regardée comme une disposition législative au sens de l'article 61-1 de la Constitution depuis l'expiration du délai de l'habilitation fixé au 24 juin 2020 (Cons. const., décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020 ; Cons. const., décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020 ; Cons. const., décision n° 2020-866 QPC du 19 novembre 2020). Sa conformité aux droits et obligations que la Constitution garantit peut, dès lors, être contestée par une question prioritaire de constitutionnalité.

10. L'article 8 précité, applicable au litige en ce qu'il porte sur la procédure sans audience, hors les cas de procédure d'urgence, n'a pas été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. La décision n° 2020-866 QPC du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2020 ne concerne, en effet, que les mots « À l'exception des procédures en référé, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 20 mai 2020.

11. La question ne présente pas de caractère sérieux pour les raisons qui suivent.

12. En premier lieu, l'organisation d'une audience devant les juridictions civiles est une garantie légale des exigences constitutionnelles des droits de la défense et du droit à un procès équitable. S'il est loisible au législateur, dans le domaine qui lui est réservé par l'article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.

13. En deuxième lieu, si l'article 8 précité a prévu, par dérogation à l'article L. 212-5-1 du code de l'organisation judiciaire, que dans une instance civile, hors les procédures d'urgence, le juge peut, sur son initiative, statuer sans audience en l'absence d'opposition des parties qui en ont été informées par tout moyen, les dispositions contestées ne sont applicables que lorsque les parties sont représentées par un avocat ou lorsqu'elles ont choisi de l'être. L'information par tout moyen de ce que le juge envisage de statuer sans audience peut être communiquée aux avocats des parties, notamment par messages via le Réseau privé virtuel des avocats (RPVA) conformément à l'article 748-1 du code de procédure civile ou, à défaut, par courriels à leur adresse professionnelle, ou, à défaut encore, par tout autre mode assurant l'effectivité de cette transmission.

14. En troisième lieu, la possibilité pour le juge de statuer sans audience en l'absence d'opposition des parties dans un délai de 15 jours vise à favoriser le maintien de l'activité des juridictions civiles, sociales et commerciales malgré les mesures d'urgence sanitaire prises pour lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19, poursuit l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et contribue à la mise en œuvre du principe constitutionnel de continuité du fonctionnement de la justice.

15. Il en résulte que dans le contexte de l'état d'urgence sanitaire, les dispositions critiquées de l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 20 mai 2020, ne conduisent pas à priver de garanties légales l'exercice des droits de la défense et le droit à un procès équitable, consacrés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

16. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

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