Cour de cassation - Chambre civile 1
- N° de pourvoi : 22-13.630
- ECLI:FR:CCASS:2023:C100219
- Non publié au bulletin
- Solution : Rejet
Audience publique du mercredi 29 mars 2023
Décision attaquée : Cour d'appel de Besançon, du 02 mars 2021Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 29 mars 2023
Rejet
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 219 F-D
Pourvoi n° V 22-13.630
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [N].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 18 décembre 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 29 MARS 2023
Mme [F] [N], épouse [K], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° V 22-13.630 contre l'arrêt rendu le 2 mars 2021 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société La Medicale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [N], de la SCP Richard, avocat de la société La Medicale, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bacache-Gibeili, conseiller rapporteur, M. Jessel, conseiller, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ( Besançon, 2 mars 2021), le 16 septembre 2010, Mme [K] a réalisé une mammographie de contrôle dont le compte-rendu a été établi par Mme [E], médecin radiologue (la radiologue), concluant à l'absence de lésions décelables. A la suite du diagnostic, le 15 février 2011, d'un adénocarcinome mammaire, Mme [K] a débuté une chimiothérapie le 16 mars 2011, suspendue en raison d'une forte intolérance au traitement, et subi le 30 août 2011 une mastectomie et un curage axillaire.
2. Le 9 décembre 2016, à l'issue de la saisine de la commission de Conciliation et d'Indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomialee (CCI), de la réalisation d'une expertise médicale, d'un avis de la CCI concluant à une responsabilité de la radiologue et de l'absence d'offre d'indemnisation de la société La Médicale de France, son assureur (l'assureur) et de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, Mme [K] a assigné l'assureur en indemnisation de ses préjudices découlant du retard de diagnostic de l'adénocarcinome et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs qui a demandé le remboursement de ses débours.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [K] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors :
« 1°/ Que la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; qu'en l'espèce, la faute commise par la radiologue avait provoqué un retard de diagnostic ducarcinome mammaire droit dont était atteinte Mme [K], lequel avait été diagnostiqué les 8 et 15 février 2011 avec près de cinq mois de retard ; qu'en jugeant pourtant, pour débouter la patiente, que cette dernière ne prouvait pas la réalité d'un lien de causalité certain entre l'erreur d'interprétation des clichés commise par la radiologue et le traitement très invasif qu'elle avait dû subir, quand un retard de diagnostic de cinq mois d'une tumeur cancéreuse impliquait nécessairement la perte d'une chance de prise en charge précoce de nature à améliorer le traitement, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime ;
2°/ Que le juge ne peut se fonder exclusivement sur un rapport d'expertise non judiciaire réalisé à la demande d'une partie, qui doit être corroboré par d'autres éléments de preuve sur le point litigieux ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, dans le cadre de leur expertise judiciaire, MM. [B] et [S] avaient estimé qu'ils étaient dans « l'incapacité d'évaluer une éventuelle perte de chance de la patiente d'échapper à une mastectomie », de sorte qu'ils ne pouvaient ni affirmer ni infirmer la réalité de cette perte de chance ; qu'en se fondant dès lors exclusivement sur le rapport de M. [T], réalisé à la demande de l'assureur, pour retenir que le retard de diagnostic n'avait fait perdre à la patiente aucune chance d'éviter une mastectomie et un curage axillaire, quand aucun autre élément de preuve, produit aux débats et visé par l'arrêt, ne venait confirmer cette conclusion, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile;
3°/ Que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, afin d'établir la réalité de la perte de chance d'éviter une mastectomie et un curage axillaire, Mme [K] s'appuyait sur l'avis du 6 mars 2018 du médecin conseil de la CPAM du Doubs, M. [C], qu'elle produisait aux débats et qui avait retenu la réalité de la perte de chance et du lien de causalité en soulignant que la prise en charge du cancer du sein à un stade précoce aurait nécessité des soins sur une période plus courte et qu'il n'y aurait pas eu de mammectomie totale ; qu'en jugeant pourtant, pour débouter Mme [K] de sa demande, qu'elle ne justifiait d'aucun avis médical contraire à celui de M. [T] propre à justifier à tout le moins qu'il soit procédé à une nouvelle expertise, sans examiner ce document médical produit par l'exposante, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ Que, à tout le moins, toute perte de chance est indemnisable ; que la cour d'appel a elle-même relevé qu'il s'évinçait du rapport de M. [T], fondant sa décision, que même si la diagnostic avait été posé dès septembre 2010, la chimiothérapie aurait été « probablement indiquée » ; qu'il en résultait que, sans la faute, Mme [K] aurait eu une chance, même faible, d'éviter ce traitement invasif par chimiothérapie, qu'elle avaitparticulièrement mal supporté, puisqu'il n'était pas certain que ce traitement aurait été prescrit ; qu'en déboutant pourtant la patiente de l'intégralité de sa demande formée au titre de la perte de chance de subir un traitement moins invasif, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
4. Une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable. Dès lors, il n'y a pas de perte de chance lorsqu'il est tenu pour certain que la faute n'a pas eu de conséquences sur l'état de santé du patient.
5. Après avoir admis une erreur fautive d'interprétation de l'imagerie par la radiologue à l'origine d'un retard de diagnostic de l'adénocarcinome mammaire, la cour d'appel, se fondant sur l'expertise réalisée à la demande de la CCI et sur un avis médical réalisé à la demande de l'assureur et versé aux débats, a retenu que, le 16 septembre 2010, la patiente était déjà porteuse d'une lésion bifocale qui s'accompagnait d'un carcinome in situ, que l'indication d'un traitement conservateur du sein n'existait pas dans les tumeurs multifocales et que l'indication d'une mastectomie aurait donc été indispensable dès cette date.
6. Sans être tenue de se prononcer sur l'avis contraire du médecin conseil de la caisse, elle a pu en déduire que le retard dans la prise en charge de Mme [K] ne lui avait fait perdre aucune chance d'éviter une mastectomie et un curage axillaire.
7. Le moyen, nouveau et mélangé de fait et comme tel irrecevable, en ce qu'il invoque une perte de chance d'éviter une chimiothérapie, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
En application de l'article 629 du code de procédure civile, condamne la société La Médicale de France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 29 mars 2023
Rejet
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 219 F-D
Pourvoi n° V 22-13.630
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [N].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 18 décembre 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 29 MARS 2023
Mme [F] [N], épouse [K], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° V 22-13.630 contre l'arrêt rendu le 2 mars 2021 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société La Medicale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [N], de la SCP Richard, avocat de la société La Medicale, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bacache-Gibeili, conseiller rapporteur, M. Jessel, conseiller, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ( Besançon, 2 mars 2021), le 16 septembre 2010, Mme [K] a réalisé une mammographie de contrôle dont le compte-rendu a été établi par Mme [E], médecin radiologue (la radiologue), concluant à l'absence de lésions décelables. A la suite du diagnostic, le 15 février 2011, d'un adénocarcinome mammaire, Mme [K] a débuté une chimiothérapie le 16 mars 2011, suspendue en raison d'une forte intolérance au traitement, et subi le 30 août 2011 une mastectomie et un curage axillaire.
2. Le 9 décembre 2016, à l'issue de la saisine de la commission de Conciliation et d'Indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomialee (CCI), de la réalisation d'une expertise médicale, d'un avis de la CCI concluant à une responsabilité de la radiologue et de l'absence d'offre d'indemnisation de la société La Médicale de France, son assureur (l'assureur) et de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, Mme [K] a assigné l'assureur en indemnisation de ses préjudices découlant du retard de diagnostic de l'adénocarcinome et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs qui a demandé le remboursement de ses débours.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [K] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors :
« 1°/ Que la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; qu'en l'espèce, la faute commise par la radiologue avait provoqué un retard de diagnostic ducarcinome mammaire droit dont était atteinte Mme [K], lequel avait été diagnostiqué les 8 et 15 février 2011 avec près de cinq mois de retard ; qu'en jugeant pourtant, pour débouter la patiente, que cette dernière ne prouvait pas la réalité d'un lien de causalité certain entre l'erreur d'interprétation des clichés commise par la radiologue et le traitement très invasif qu'elle avait dû subir, quand un retard de diagnostic de cinq mois d'une tumeur cancéreuse impliquait nécessairement la perte d'une chance de prise en charge précoce de nature à améliorer le traitement, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime ;
2°/ Que le juge ne peut se fonder exclusivement sur un rapport d'expertise non judiciaire réalisé à la demande d'une partie, qui doit être corroboré par d'autres éléments de preuve sur le point litigieux ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, dans le cadre de leur expertise judiciaire, MM. [B] et [S] avaient estimé qu'ils étaient dans « l'incapacité d'évaluer une éventuelle perte de chance de la patiente d'échapper à une mastectomie », de sorte qu'ils ne pouvaient ni affirmer ni infirmer la réalité de cette perte de chance ; qu'en se fondant dès lors exclusivement sur le rapport de M. [T], réalisé à la demande de l'assureur, pour retenir que le retard de diagnostic n'avait fait perdre à la patiente aucune chance d'éviter une mastectomie et un curage axillaire, quand aucun autre élément de preuve, produit aux débats et visé par l'arrêt, ne venait confirmer cette conclusion, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile;
3°/ Que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, afin d'établir la réalité de la perte de chance d'éviter une mastectomie et un curage axillaire, Mme [K] s'appuyait sur l'avis du 6 mars 2018 du médecin conseil de la CPAM du Doubs, M. [C], qu'elle produisait aux débats et qui avait retenu la réalité de la perte de chance et du lien de causalité en soulignant que la prise en charge du cancer du sein à un stade précoce aurait nécessité des soins sur une période plus courte et qu'il n'y aurait pas eu de mammectomie totale ; qu'en jugeant pourtant, pour débouter Mme [K] de sa demande, qu'elle ne justifiait d'aucun avis médical contraire à celui de M. [T] propre à justifier à tout le moins qu'il soit procédé à une nouvelle expertise, sans examiner ce document médical produit par l'exposante, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ Que, à tout le moins, toute perte de chance est indemnisable ; que la cour d'appel a elle-même relevé qu'il s'évinçait du rapport de M. [T], fondant sa décision, que même si la diagnostic avait été posé dès septembre 2010, la chimiothérapie aurait été « probablement indiquée » ; qu'il en résultait que, sans la faute, Mme [K] aurait eu une chance, même faible, d'éviter ce traitement invasif par chimiothérapie, qu'elle avaitparticulièrement mal supporté, puisqu'il n'était pas certain que ce traitement aurait été prescrit ; qu'en déboutant pourtant la patiente de l'intégralité de sa demande formée au titre de la perte de chance de subir un traitement moins invasif, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
4. Une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable. Dès lors, il n'y a pas de perte de chance lorsqu'il est tenu pour certain que la faute n'a pas eu de conséquences sur l'état de santé du patient.
5. Après avoir admis une erreur fautive d'interprétation de l'imagerie par la radiologue à l'origine d'un retard de diagnostic de l'adénocarcinome mammaire, la cour d'appel, se fondant sur l'expertise réalisée à la demande de la CCI et sur un avis médical réalisé à la demande de l'assureur et versé aux débats, a retenu que, le 16 septembre 2010, la patiente était déjà porteuse d'une lésion bifocale qui s'accompagnait d'un carcinome in situ, que l'indication d'un traitement conservateur du sein n'existait pas dans les tumeurs multifocales et que l'indication d'une mastectomie aurait donc été indispensable dès cette date.
6. Sans être tenue de se prononcer sur l'avis contraire du médecin conseil de la caisse, elle a pu en déduire que le retard dans la prise en charge de Mme [K] ne lui avait fait perdre aucune chance d'éviter une mastectomie et un curage axillaire.
7. Le moyen, nouveau et mélangé de fait et comme tel irrecevable, en ce qu'il invoque une perte de chance d'éviter une chimiothérapie, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
En application de l'article 629 du code de procédure civile, condamne la société La Médicale de France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
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