jeudi 27 avril 2023

Le juge ne peut relever d'office le moyen tiré de la perte de chance, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

VB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 avril 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 284 F-D

Pourvoi n° T 21-22.410




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 AVRIL 2023

La Compagnie européenne de garanties et de cautions, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° T 21-22.410 contre l'arrêt rendu le 17 juin 2021 par la cour d'appel de Nîmes (chambre civile, 1re chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Rothschild Martin Maurel, société en commandite simple, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à M. [T] [U], domicilié chez Mme [I], [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la Compagnie européenne de garanties et cautions, de la SCP Spinosi, avocat de la société Rothschild Martin Maurel, après débats en l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 17 juin 2021), la société civile immobilière [Adresse 3] (la SCI), gérée par M. [U], a entrepris la construction de maisons d'habitation, commercialisées sous la forme de ventes en l'état futur d'achèvement.

2. La société Martin Maurel, devenue la société Rothschild Martin Maurel, a consenti à la SCI différents concours pour financer l'opération.

3. La SCI a souscrit la garantie d'achèvement prévue à l'article R. 261-21 du code de la construction et de l'habitation auprès de la Compagnie européenne de garanties immobilières devenue la Compagnie européenne de garanties et de cautions (la CEGC).

4. La SCI a été mise en redressement judiciaire.

5. M. [U] a été condamné par le tribunal correctionnel pour abus de confiance.

6. Se plaignant des fautes de M. [U] et de négligences de la banque ayant permis les détournements, la CEGC les a assignés aux fins d'indemnisation de ses préjudices.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. La CEGC fait grief à l'arrêt de condamner in solidum la société Rothschild Martin Maurel et M. [U] à ne lui payer que la somme de 584 870 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par leurs fautes, alors « qu'il appartient au juge de faire respecter, et de respecter lui-même le principe de la contradiction ; qu'en considérant que le préjudice de la société CEGC ne consisterait pas dans le montant des sommes détournées de l'opération de construction mais serait constitué par la disparition de toute éventualité de réussite de l'opération, la cour d'appel, qui a soulevé ce moyen d'office, sans inviter les parties à en débattre contradictoirement, a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

8. Selon ce texte, le juge, qui doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

9. Pour limiter le préjudice de la CEGC à une fraction des sommes qu'elle avait engagées pour achever la construction des immeubles, l'arrêt retient que le préjudice du garant ne consiste pas dans le montant des sommes détournées de l'opération de construction mais est constitué par la disparition de toute éventualité de réussite de cette opération causée de manière certaine et directe par les fautes conjuguées de M. [U] et de l'établissement bancaire.

10. En statuant ainsi, en relevant d'office le moyen tiré de la perte de chance, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à 584 870 euros la somme que la société Rothschild Martin Maurel et M. [U] sont condamnés in solidum à payer à la Compagnie européenne de garanties et de cautions à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par leurs fautes, l'arrêt rendu le 17 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes autrement composée ;

Condamne M. [U] et la société Rothschild Martin Maurel aux dépens ;

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