mercredi 19 avril 2023

Désordres répétitifs et causalité

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 mars 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 245 F-D

Pourvoi n° Z 22-10.299




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 MARS 2023

1°/ la société Holding Vigneresse, société à responsabilité limitée, anciennement dénommée société Vigneresse, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ la société Vigneresse motoculture, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ la société A LEA, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° Z 22-10.299 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2021 par la cour d'appel de Riom (1e chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à la société CMB, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat des sociétés Holding Vigneresse, Vigneresse motoculture et A LEA, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat des sociétés CMB et de la SMABTP, après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 12 octobre 2021), la société Holding Vigneresse est propriétaire d'un bâtiment au sein duquel les sociétés A LEA et Vigneresse motoculture exercent une activité de vente de matériel d'agriculture et d'aliments pour bétail.

2. Souhaitant procéder à l'extension de son bâtiment, la société Holding Vigneresse a confié, en 2004, la réalisation du lot couverture à la société FCI.

3. La société Holding Vigneresse s'étant plainte d'infiltrations et de condensation, des travaux de réfection de la couverture, préconisés par un expert judiciaire, ont été réalisés, en 2010 et 2011, par la société CMB, assurée auprès de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP).

4. Compte tenu de la persistance des désordres, les sociétés Holding Vigneresse, A LEA et Vigneresse ont, après une nouvelle mesure d'expertise, assigné la société CMB et la SMABTP en indemnisation de leurs préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen


Enoncé du moyen

5. La société Holding Vigneresse fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes dirigées contre la société CMB et la SMABTP sur le fondement de la garantie décennale, alors :

« 1°/ que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ; qu'en rejetant les demandes au motif inopérant que la responsabilité décennale de l'entreprise ayant procédé aux travaux de reprise n'est pas engagée dans l'hypothèse où ces travaux, bien qu'inefficaces, n'ont ni occasionné de nouveaux désordres, ni aggravé les désordres existants et que l'intégralité des désordres est imputable uniquement à l'entreprise intervenue initialement et qu'il était établi en l'espèce que l'ouvrage d'origine n'était pas étanche, ce qui se manifestait déjà soit par des infiltrations directes, soit par un phénomène de condensation à l'origine d'infiltrations par « goutte-à-goutte », et que si l'intervention de la société CMB qui n'avait pas consisté à défaire l'ouvrage précédemment réalisé, mais à rajouter des éléments sur celui-ci, afin de remédier à ces difficultés s'était avéré inefficace, notamment en raison d'une mauvaise exécution des travaux, il n'apparaissait pas toutefois que ceux-ci aient occasionné des désordres nouveaux à l'immeuble, ou aient pu aggraver les désordres résultant du défaut d'étanchéité d'origine de la toiture de sorte que ces travaux ne constituaient pas la cause des désordres actuels, qui étaient la suite directe du sinistre initial, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil par fausse application ;

2°/ qu'en retenant que les désordres n'étaient pas dus à l'intervention de la société CMB sans répondre au moyen de la société Holding Vigneresse qui faisait valoir que la SMABTP avait confirmé son intervention en garantie décennale au titre des infiltrations en toiture à partir des capots d'ondes mis en oeuvre par CMB et de la noue de l'entrée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que le juge du fond n'est pas tenu de s'expliquer sur chacun des éléments soumis à son appréciation, ni sur chacun de ceux qu'il décide d'écarter, il ne peut toutefois accueillir ou rejeter les demandes qui lui sont présentées sans examiner, même sommairement, les éléments de preuve que les parties produisent ; qu'en retenant que les désordres n'étaient pas dus à l'intervention de la société CMB sans examiner, même sommairement, et ainsi que l'y invitait la société Holding Vigneresse, les conclusions du cabinet Polyexpert, expert mandaté par la SMABTP, qui indiquait très clairement en page 3 de son rapport que « les fuites actuelles sont liées essentiellement à la pose d'un capotage métallique supplémentaire sur les panneaux sandwichs ... », ledit capotage ayant été mis en oeuvre par la société CMB, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a constaté que les éléments contenus dans le rapport de Polyexpert et que l'acceptation de la SMABTP d'intervenir en garantie pour les infiltrations à partir des capots d'ondes et de la noue d'entrée n'étaient pas déterminants pour caractériser de nouveaux désordres ou l'aggravation des désordres préexistants à la suite de l'intervention de la société CMB.

7. Elle a également relevé que, si l'expert judiciaire remettait en cause, sur certains points, la qualité de l'intervention de la société CMB, il évoquait seulement la persistance des désordres existants, sans être en mesure de déterminer si la mauvaise exécution des travaux de reprise les avait aggravés ou en avait occasionné de nouveaux.

8. Elle a ajouté que l'ouvrage d'origine n'était pas étanche et que l'intervention de la société CMB n'avait pas consisté à défaire l'ouvrage précédemment réalisé mais à rajouter des éléments sur celui-ci afin de remédier aux infiltrations.

9. Ayant retenu qu'il n'était pas démontré que les travaux de reprise des désordres préexistants, exécutés par la société CMB, lesquels s'étaient révélés inefficaces, avaient pu les aggraver ou causer de nouveaux désordres, de sorte qu'ils ne constituaient pas la cause des désordres actuels, qui n'étaient que la suite directe du sinistre initial, la cour d'appel a pu en déduire, répondant aux conclusions prétendument délaissées, qu'en l'absence de lien d'imputabilité entre les travaux de reprise inefficaces et les désordres auxquels ils devaient mettre un terme, la responsabilité de plein droit de la société CMB n'était pas engagée.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. Les sociétés Vigneresse motoculture et A LEA font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes dirigées contre la société CMB et la SMABTP sur le fondement de la responsabilité délictuelle, alors « que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage et que la Cour a constaté que les travaux de reprise de la société CMB, dont l'intervention devait remédier aux infiltrations dont souffrait l'immeuble, avaient été inefficaces ; qu'en écartant la responsabilité de la société CMB, motif pris qu'il n'était pas démontrée que les dommages subis par les sociétés Vigneresse motoculture et A LEA avaient pour origine des infiltrations survenues « à raison de malfaçons ou non conformités aux endroits où la société CMB était intervenue » et qu'un lien de causalité entre les dommages invoqués et les manquements imputés à la société CMB dans l'exécution de son contrat n'était dès lors pas démontré, la cour a violé l'article 1240 (anciennement 1382) du Code civil. »

12. Ayant retenu, d'une part, que les photographies et les procès-verbaux de constat d'huissier de justice ne permettaient pas de déterminer si les fuites importantes en toiture étaient survenues à partir des endroits où les travaux de la société CMB étaient affectés de malfaçons ou non-conformités et, d'autre part, que l'expert judiciaire les imputait au débordement d'un ancien chéneau sur lequel la société CMB n'était pas intervenue, la cour d'appel a pu en déduire qu'aucun lien causal direct n'était établi entre les manquements reprochés à la société CMB dans l'exécution du contrat et les dommages invoqués par les sociétés Vigneresse motoculture et A LEA.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Holding Vigneresse, A LEA et Vigneresse motoculture aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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