samedi 20 septembre 2014

Faute intentionnelle et volonté de causer le dommage tel qu'il est survenu

Voir note Charbonneau, RTDI 2014, n° 3, p. 43.

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mardi 25 mars 2014
N° de pourvoi: 13-17.458
Non publié au bulletin Rejet

M. Terrier (président), président
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Odent et Poulet, avocat(s)


--------------------------------------------------------------------------------


Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique, ci-après annexé :

Attendu qu'ayant retenu exactement que la faute intentionnelle consiste non seulement dans la volonté de réaliser l'action ou l'omission génératrice du dommage, mais aussi dans celle de causer le dommage tel qu'il est survenu et souverainement que si la multiplicité et l'ambiguïté des rôles tenus par les différents intervenants étaient de nature à favoriser des agissements frauduleux qui n'ont pas manqué de se produire, il ne peut être déduit de cette circonstance que la société Icône architecture, au moment où elle a visé les situations de travaux, voulait le préjudice subi par les époux X... résultant de l'impossibilité de poursuivre l'opération entreprise et de percevoir les loyers afférents, la cour d'appel a pu en déduire, abstraction faite de motifs surabondants, que l'action directe exercée par les tiers lésés contre la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP) devait être accueillie ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la SMABTP aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SMABTP à payer à M. et Mme X... la somme de 500 euros ; rejette la demande de la SMABTP ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mars deux mille quatorze.



MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils pour la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics

II est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR, infirmant le jugement rendu 2 décembre 2010 par le tribunal de grande instance de Montpellier, déclaré recevable et fondée l'action directe exercée par les époux X... à l'encontre de la SMABTP et D'AVOIR en conséquence condamné cette dernière à leur payer différentes sommes au titre du coût de l'achèvement de l'ouvrage et en réparation du préjudice résultant de la perte d'une chance de percevoir des loyers,

AUX MOTIFS QU'il est établi par le rapport de l'expert de justice 22 décembre 2009 , qu'au moment du paiement de la quasi-totalité des factures de l'entreprise générale sur la base des situations de travaux de l'entreprise soustraitante dûment visées par l'architecte, l'état d'avancement des travaux était de 5 % pour tous les acquéreurs, à l'exception de Béatrice Y..., pour lequel il était de 10 % ; que la faute de la société d'architecture ICÔNE, représentée par Jean-François Z..., consiste dans le fait d'avoir visé des situations ne reflétant en rien l'état d'avancement réel des travaux et d'avoir ainsi approuvé des situations fausses ayant permis le paiement ; que la faute de l'architecte ayant inexactement attesté l'état d'avancement de nature contractuelle, dans ses rapports avec l'AFUL, constitue à l'égard des époux X... une faute de nature délictuelle qu'ils sont fondés à invoquer dans le cadre de l'action directe qu'ils exercent à l'encontre de l'assureur responsabilité civile de la société ICÔNE, à savoir la SMABTP ; que cette faute est en relation de causalité directe avec le préjudice subi par les époux X... qui ont réglé la totalité du montant des travaux relatifs à leur lot, alors qu'à peine commencés, ils ont été abandonnés, et qui consiste dans le coût des travaux nécessaires à l'achèvement de l'ouvrage et dans la perte des loyers subie depuis la date contractuelle de livraison de l'ouvrage, soit juillet 2004 ; que la SMABTP invoque à l'encontre des époux X... l'alinéa 2 de l'article L. 113-1 du code des assurances selon lequel l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assurée ; que cette disposition légale est reprise par l'article 6.1 des conditions générales de la police souscrite par la société ICÔNE auprès de la SMABTP ; que la faute intentionnelle, qui ne doit pas être réduite à la faute volontaire, consiste dans la volonté non seulement de réaliser l'action ou l'omission génératrice du dommage, mais aussi dans celle de causer ou de provoquer le dommage tel qu'il est survenu, la seule conscience du dommage ne suffisant pas à caractériser la faute intentionnelle ; que le dommage subi par les époux X..., tiers lésés, est constitué par l'impossibilité de réaliser l'opération au prix initialement convenu et de percevoir les loyers afférents à cet investissement ; que si la multiplicité et l'ambiguïté des rôles tenus par Yves A..., Jean-François Z... et Christian B..., dénoncées par la SMABTP, étaient de nature à favoriser des agissements frauduleux qui n'ont pas manqué de se produire, il ne peut être déduit de cette circonstance que la société ICÔNE, au moment où elle a visé les situations de travaux, voulait le préjudice subi par les époux X..., résultant de l'impossibilité de poursuivre l'opération entreprise et de percevoir les loyers afférents ; qu'il n'est pas exclu par exemple, que les fonds prélevés en avance dans le cadre de l'opération conduite par l'AFUL de la NOTAIRE à BEZIERS auraient pu servir au financement d'une autre AFUL, gérée également par le groupe dont faisaient partie les sociétés impliquées, qui en gérait plusieurs ; que l'exclusion de garantie tirée par la SMABTP de l'article 113-1 alinéa 2 du code des assurances, doit en conséquence être écartée ; que c'est à tort que le tribunal, après avoir inexactement considéré que la société ICÔNE, en visant des situations fausses, «ne pouvait qu'avoir nécessairement conscience du dommage qui allait inéluctablement résulter, pour les acquéreurs, de ces agissements», dit ensuite que «le montage de l'opération, rendait, dès la signature du contrat, le 21 décembre 2001, le risque, certain dans sa réalisation, et déterminable dans son étendue» ; que le défaut d'aléa doit être établi à la date de la souscription du contrat d'assurance et qu'il est, en toute hypothèse, sanctionné par la nullité de la convention et non par une exclusion de garantie ; que rien ne permet, en l'espèce, d'affirmer qu'à la date de la signature du contrat d'assurance, il n'y avait pas d'aléa et qu'il était certain que le dommage devait se réaliser ; que le moyen tiré par la société SMABTP de l'absence d'aléa doit être rejeté ; que l'action directe exercée par les époux C... à l'encontre de la SMABTP, assureur garantissant la responsabilité civile de la société ICÔNE, responsable de son préjudice, doit en conséquence être déclarée bien fondée ;

1°/ ALORS QUE l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré ; que cette faute intentionnelle suppose la volonté de causer le dommage tel qu'il s'est réalisé ; que la cour a retenu en l'espèce que la société ICÔNE ARCHITECTURE, assurée auprès de la SMABTP pour la maîtrise d'oeuvre complète qu'elle devait effectuer sur le chantier litigieux, s'était rendue coupable d'agissements frauduleux, en ayant approuvé des situations fausses de travaux non réalisés pour en obtenir paiement ; que la fin volontairement poursuivie par cette faute délibérée a été atteinte, à savoir un détournement de fonds, opéré au préjudice des époux X... ; qu'il s'ensuit que ce préjudice a lui-même été directement voulu, par la mise en oeuvre volontaire et fautive des moyens de l'atteindre ; qu'en jugeant le contraire, pour retenir que ladite société d'architecture n'avait pas voulu le dommage tel qu'il était survenu, la cour a violé l'article L. 113-1 alinéa 2 du code des assurances ;

2°/ ALORS QUE l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré ; que cette faute intentionnelle suppose la volonté de causer le dommage tel qu'il s'est réalisé ; que cette intention doit être appréciée au regard des compétences professionnelles de l'assuré, lesquelles déterminent sa clairvoyance des effets dommageables nécessairement attachés à sa faute ; que le professionnel, lorsqu'il provoque un dommage qui n'est pas dû seulement à son inattention mais au propos délibéré de tromper son interlocuteur, ne peut pas, indépendamment de toute volonté de nuire, ne pas avoir conscience de son comportement fautif et de sa portée, de sorte qu'il a nécessairement l'intention de «causer le dommage tel qu'il est survenu»; qu'en l'espèce la cour a constaté que la société ICÔNE, professionnel, architecte investi d'une maîtrise d'oeuvre complète, avait sciemment eu recours à des manoeuvres frauduleuses ayant provoqué un détournement de fonds ; qu'il s'ensuivait, au regard des effets mêmes qu'elle a relevés - à savoir «l'impossibilité pour les époux X... de poursuivre l'opération au prix initialement convenu et de percevoir les loyers afférents à cet investissement» - et qui n'auraient pas existé sans ces manoeuvres et ce détournement, que la société ICÔNE avait eu l'intention de causer le dommage tel qu'il était survenu ; qu'en se soustrayant à cette conséquence, qu'appelaient légalement ses constatations, la cour a violé l'article L. 113-1 alinéa 2 du code des assurances ;

3°/ ALORS, en toute hypothèse, QUE pour refuser d'exclure la garantie de l'assureur, en dépit des comportements constatés et des effets qui en étaient résulté, la cour, au lieu de considérer, dans le champ du contrat d'assurance, la réalité objective du dommage immédiatement provoqué par le fait fautif volontaire de la société ICÔNE, à savoir le détournement de fonds lui-même, dont résultaient par voie de causalité les préjudices allégués par les tiers, est partie de l'intention subjective de ces derniers, relative à l'opération poursuivie, de son échec et des conséquences pécuniaires qui en résultaient, avant de conclure que ces conséquences n'avaient pas pu être voulues en tant que telles par la société ICÔNE ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à justifier sa décision, la cour a violé l'article L. 113-1 alinéa 2 du code des assurances ;

4°/ ALORS QUE l'aléa est de l'essence même du contrat d'assurance ; que s'il doit exister au moment de sa souscription, il peut disparaître au cours de son exécution par un fait de l'assuré ayant rendu le dommage nécessaire ; que pour écarter le moyen soulevé de ce chef par la SMABTP, qui faisait valoir que la société ICÔNE, par ses agissements frauduleux et le détournement de fonds qui en était résulté, avait fait disparaître l'aléa en cours d'exécution de la convention, la cour a retenu, d'une part, que le défaut d'aléa «devait être établi» à la date de souscription du contrat et, d'autre part, qu'à cette date un aléa existait ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs excluant erronément que la disparition de l'aléa pût survenir en cours d'exécution du contrat, la cour a violé l'article L. 113-1 du code des assurances, ensemble l'article 1964 du code civil.




--------------------------------------------------------------------------------

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.