Conseil d'État
N°
401747
ECLI:FR:CECHR:2017:401747.20171220
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Olivier Henrard, rapporteur public
SCP RICHARD ; SCP BOULLOCHE ; SCP GASCHIGNARD, avocat
lecture du
mercredi 20 décembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
La société Poulingue a demandé au tribunal administratif
de Châlons-en-Champagne de condamner la communauté d'agglomération du
Grand Troyes à lui verser la somme de 407 990,01 euros assortie des
intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2010 et de la capitalisation
des intérêts à compter du 29 octobre 2010, au titre du solde du lot n° 6
" façades polycarbonates " du marché conclu le 27 novembre 2006 en vue
de la construction de quatre bâtiments universitaires. Par un jugement
n° 1002040 du 15 avril 2014, le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne a condamné la communauté d'agglomération du Grand
Troyes au paiement à la société Poulingue d'une somme de 162 025,01
euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2010 et
de leur capitalisation à compter du 29 octobre 2011, et condamné la
société Lipsky-Rollet Architectes à la garantir à hauteur de 95 % des
condamnations prononcées à son encontre.
Par un arrêt n° 14NC01089 du 12 mai 2016, la cour
administrative d'appel de Nancy a, sur appel de la société Lipsky-Rollet
Architectes, en premier lieu, ramené la condamnation de cette société à
garantir la communauté d'agglomération du Grand Troyes à hauteur du
paiement à la société Poulingue des travaux supplémentaires n° 17 pour 1
261,30 euros HT et des travaux supplémentaires n° 30 pour 1 895,30
euros HT, en deuxième lieu, mis les frais d'expertise, taxés et liquidés
à la somme de 13 235 euros, à la charge de la communauté
d'agglomération du Grand Troyes, en troisième lieu, réformé le jugement
du 15 avril 2014 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en ce
qu'il avait de contraire à son arrêt et, en dernier lieu, rejeté le
surplus des conclusions des parties.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire,
enregistrés les 22 juillet et 24 octobre 2016 au secrétariat du
contentieux du Conseil d'Etat, la communauté d'agglomération du Grand
Troyes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de la société Lipsky-Rollet
Architectes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du
code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les
conclusions, à la SCP Richard, avocat de la communaute d'agglomération
du Grand Troyes, à la SCP Boulloche, avocat de la société Lipsky-Rollet
Architectes et à la SCP Gaschignard, avocat de la société Poulingue.
1. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que
la communauté d'agglomération troyenne, devenue la communauté
d'agglomération du Grand Troyes, dans le cadre du projet de construction
d'un campus universitaire de quatre bâtiments dans le centre ville de
Troyes, a attribué en 2006 le lot n° 6, " façades polycarbonates ", à la
société Poulingue pour un prix global et forfaitaire de 899 505,08
euros HT ; que la maîtrise d'oeuvre a été confiée à la société
Lipsky-Rollet Architectes ; qu'après la réception de l'ouvrage, la
société Poulingue a demandé à la communauté d'agglomération du Grand
Troyes le paiement de travaux supplémentaires ; que, par un jugement du
15 avril 2014, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a,
d'une part, condamné la communauté d'agglomération à verser à la société
Poulingue, au titre de ces travaux, la somme de 162 025,01 euros TTC
et, d'autre part, condamné la société Lipsky-Rollet Architectes à
garantir la communauté d'agglomération de cette condamnation à hauteur
de 95 % ; que par un arrêt du 12 mai 2016, contre lequel la communauté
d'agglomération du Grand Troyes se pourvoit en cassation, la cour
administrative d'appel de Nancy a déchargé partiellement la société
Lipsky-Rollet Architectes de sa condamnation ;
2. Considérant, en premier lieu, que l'entrepreneur a le
droit d'être indemnisé du coût des travaux supplémentaires
indispensables à la réalisation d'un ouvrage dans les règles de l'art ;
que la charge définitive de l'indemnisation incombe, en principe, au
maître de l'ouvrage ; que, toutefois, le maître d'ouvrage est fondé, en
cas de faute du maître d'oeuvre, à l'appeler en garantie ; qu'il en va
ainsi lorsque la nécessité de procéder à ces travaux n'est apparue que
postérieurement à la passation du marché, en raison d'une mauvaise
évaluation initiale par le maître d'oeuvre, et qu'il établit qu'il
aurait renoncé à son projet de construction ou modifié celui-ci s'il en
avait été avisé en temps utile ; qu'il en va de même lorsque, en raison
d'une faute du maître d'oeuvre dans la conception de l'ouvrage ou dans
le suivi de travaux, le montant de l'ensemble des travaux qui ont été
indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art
est supérieur au coût qui aurait dû être celui de l'ouvrage si le maître
d'oeuvre n'avait commis aucune faute, à hauteur de la différence entre
ces deux montants ;
3. Considérant, d'une part, qu'en relevant, pour rejeter
une partie des conclusions d'appel en garantie de la communauté
d'agglomération du Grand Troyes, que celle-ci n'établissait pas qu'elle
aurait renoncé à la construction du campus universitaire ou aurait
modifié le projet si elle avait su que des travaux supplémentaires
étaient indispensables à sa réalisation dans les règles de l'art, la
cour administrative d'appel n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit ;
que, d'autre part, il n'était pas soutenu devant elle que le montant
des travaux indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles
de l'art, y compris les travaux supplémentaires, aurait été supérieur
au coût de la construction du campus universitaire si la société
Lipsky-Rollet Architectes n'avait pas commis de fautes lors de la
conception de cet ouvrage ; que, par suite, la cour n'a pas commis
d'erreur de droit en jugeant que la communauté d'agglomération du Grand
Troyes devait supporter la charge définitive du coût de ces travaux
supplémentaires, alors même que celle-ci faisait valoir que ce coût
n'était pas inscrit dans son budget initial ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que le moyen tiré de ce
que l'arrêt attaqué, en ce qu'il porte sur les travaux supplémentaires
n° 41, serait entaché d'insuffisance de motivation, manque en fait ; que
si la communauté d'agglomération du Grand Troyes soutient, concernant
les mêmes motifs de l'arrêt, que la cour aurait commis une erreur dans
son interprétation des stipulations de l'article 23 du cahier des
clauses administratives particulières, ce moyen est, en tout état de
cause, inopérant, la cour ne s'étant pas prononcée sur ces stipulations ;
5. Considérant, en dernier lieu, qu'il résulte de ce qui
vient d'être dit que la communauté d'agglomération du Grand Troyes n'est
pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il
rejette le surplus de ses conclusions d'appel en garantie dirigées
contre la société Lipsky-Rollet Architectes ; que, par suite, la
communauté d'agglomération du Grand Troyes n'est pas fondée à demander,
par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt en tant qu'il met à sa
charge les frais d'expertise ;
6. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1
du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la
charge de la société Lispky-Rollet Architectes, qui n'est pas la partie
perdante dans la présente instance, le versement des sommes que demande,
à ce titre, la communauté d'agglomération du Grand Troyes ; qu'en
revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à
la charge de la communauté d'agglomération du Grand Troyes le versement
d'une somme de 3 000 euros à la société Lispky-Rollet Architectes au
titre des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la communauté d'agglomération du Grand Troyes est rejeté.
Article 2 : La communauté d'agglomération du Grand Troyes versera à la
société Lispky Rollet Architectes une somme de 3 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la communauté
d'agglomération du Grand Troyes, à la société Poulingue et à la société
Lipsky-Rollet Architectes.
Analyse
Abstrats : 39-05-01-02-01 MARCHÉS ET CONTRATS
ADMINISTRATIFS. EXÉCUTION FINANCIÈRE DU CONTRAT. RÉMUNÉRATION DU
CO-CONTRACTANT. INDEMNITÉS. TRAVAUX SUPPLÉMENTAIRES. - 1) PRINCIPE -
INDEMNISATION PAR LE MAÎTRE DE L'OUVRAGE DES TRAVAUX INDISPENSABLES À LA
RÉALISATION DE L'OUVRAGE DANS LES RÈGLES D'ART [RJ2] - 2) MODALITÉS
D'INDEMNISATION EN CAS DE FAUTE DU MAÎTRE D'OEUVRE - POSSIBILITÉ POUR LE
MAÎTRE D'OUVRAGE D'APPELER EN GARANTIE CE DERNIER - EXISTENCE -
CONDITIONS - A) MAUVAISE ÉVALUATION INITIALE DES TRAVAUX QUI, S'ILS
AVAIENT ÉTÉ CONNUS EN TEMPS UTILES PAR LE MAÎTRE D'OUVRAGE, AURAIT
CONDUIT CELUI-CI À RENONCER AU PROJET DE CONSTRUCTION OU À LE MODIFIER -
B) FAUTE DANS LA CONCEPTION DE L'OUVRAGE OU LE SUIVI DE TRAVAUX
CONDUISANT À UN COÛT DE TRAVAUX SUPÉRIEUR À CELUI QUI AURAIT DÛ ÊTRE
CELUI DE L'OUVRAGE [RJ1].
39-06 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. RAPPORTS ENTRE
L'ARCHITECTE, L'ENTREPRENEUR ET LE MAÎTRE DE L'OUVRAGE. - PAIEMENT AU
COCONTRACTANT DE TRAVAUX SUPPLÉMENTAIRES - 1) PRINCIPE - INDEMNISATION
PAR LE MAÎTRE DE L'OUVRAGE DES TRAVAUX INDISPENSABLES À LA RÉALISATION
DE L'OUVRAGE DANS LES RÈGLES D'ART [RJ2] - 2) MODALITÉS D'INDEMNISATION
EN CAS DE FAUTE DU MAÎTRE D'OEUVRE - POSSIBILITÉ POUR LE MAÎTRE
D'OUVRAGE D'APPELER EN GARANTIE CE DERNIER - EXISTENCE - CONDITIONS - A)
MAUVAISE ÉVALUATION INITIALE DES TRAVAUX QUI, S'ILS AVAIENT ÉTÉ CONNUS
EN TEMPS UTILES PAR LE MAÎTRE D'OUVRAGE, AURAIT CONDUIT CELUI-CI À
RENONCER AU PROJET DE CONSTRUCTION OU À LE MODIFIER - B) FAUTE DANS LA
CONCEPTION DE L'OUVRAGE OU LE SUIVI DE TRAVAUX CONDUISANT À UN COÛT DE
TRAVAUX SUPÉRIEUR À CELUI QUI AURAIT DÛ ÊTRE CELUI DE L'OUVRAGE SI LE
MAÎTRE D'OEUVRE N'AVAIT PAS COMMIS DE FAUTE - CONSÉQUENCE -
INDEMNISATION À HAUTEUR DE LA DIFFÉRENCE ENTRE CES DEUX MONTANTS [RJ1].
Résumé : 39-05-01-02-01 1) L'entrepreneur a le
droit d'être indemnisé du coût des travaux supplémentaires
indispensables à la réalisation d'un ouvrage dans les règles de l'art.
La charge définitive de l'indemnisation incombe, en principe, au maître
de l'ouvrage.... ,,2) Toutefois, le maître d'ouvrage est fondé, en cas
de faute du maître d'oeuvre, à l'appeler en garantie. a) Il en va ainsi
lorsque la nécessité de procéder à ces travaux n'est apparue que
postérieurement à la passation du marché, en raison d'une mauvaise
évaluation initiale par le maître d'oeuvre, et qu'il établit qu'il
aurait renoncé à son projet de construction ou modifié celui-ci s'il en
avait été avisé en temps utile.... ...b) Il en va de même lorsque, en
raison d'une faute du maître d'oeuvre dans la conception de l'ouvrage ou
dans le suivi de travaux, le montant de l'ensemble des travaux qui ont
été indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de
l'art est supérieur au coût qui aurait dû être celui de l'ouvrage si le
maître d'ouvrage n'avait commis aucune faute, à hauteur de la différence
entre ces deux montants.
39-06 1) L'entrepreneur a le droit d'être
indemnisé du coût des travaux supplémentaires indispensables à la
réalisation d'un ouvrage dans les règles de l'art. La charge définitive
de l'indemnisation incombe, en principe, au maître de l'ouvrage.... ,,2)
Toutefois, le maître d'ouvrage est fondé, en cas de faute du maître
d'oeuvre, à l'appeler en garantie. a) Il en va ainsi lorsque la
nécessité de procéder à ces travaux n'est apparue que postérieurement à
la passation du marché, en raison d'une mauvaise évaluation initiale par
le maître d'oeuvre, et qu'il établit qu'il aurait renoncé à son projet
de construction ou modifié celui-ci s'il en avait été avisé en temps
utile.... ...b) Il en va de même lorsque, en raison d'une faute du
maître d'oeuvre dans la conception de l'ouvrage ou dans le suivi de
travaux, le montant de l'ensemble des travaux qui ont été indispensables
à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art est supérieur au
coût qui aurait dû être celui de l'ouvrage si le maître d'ouvrage
n'avait commis aucune faute, à hauteur de la différence entre ces deux
montants.
[RJ1] Cf. CE, 1er juillet 1970, Commune de
Sainteny, n°s 70820 72704, p. 451 ; CE, 14 novembre 1979, Novarina et
autres et District du Grand Rodez, n°s 01818 06703 07415, T. p. 799.
Rappr., en matière de responsabilité décennale, CE, 11 février 1970,
Bortuzzo et Martin-Bellet, n° 71987, p. 107., ,[RJ2] Cf. CE, 3 octobre
1979, Société Entrasudo, n° 08585, p. 797.