Je remercie Charlotte Broussy de m'avoir permis de livrer à mes lecteurs cette communication, fort intéressante, faite par elle aux 11èmes Rencontres de l’Assurance construction, le 22
novembre 2018.
Texte de la communication (sans appareil de notes) : « L’histoire du
contrat d’assurance », 11èmes Rencontres de l’Assurance construction, 22
novembre 2018
« Depuis
plusieurs décennies, l’activité d’assurance et son droit sont en proie à de nombreuses
et marquantes évolutions qui sèment le doute. Les évolutions sèment notamment
le doute quant à la définition du contrat d’assurance. Ce contrat est un
contrat dont les contours - principes et critères - juridiques peuvent être
sujets à controverses et, en tout cas, sont assez incertains. Au XIXe siècle on
caractérisait un contrat d’assurance dès lors que trois critères techniques étaient
réunis : critère aléatoire, critère indemnitaire et mutualisation des
risques. Cette manière de caractériser le contrat d’assurance est assez
singulière et est le témoin d’une histoire singulière de ce contrat.
Par
contraste avec les grands contrats spéciaux (vente, louage, société, mandat,
prêt, etc.), le contrat d’assurance
est apparu tardivement. Il est inconnu du droit romain. Le contrat d’assurance
est, pour sa part, le fruit de la pratique commerciale médiévale,
méditerranéenne - italienne en particulier.
Le
contrat d’assurance apparaît entre les XIIIe et XIVe siècle, dans un contexte
marqué par la condamnation par l’Église du prêt à la grosse aventure. Le prêt à
la grosse aventure est un prêt consenti pour financer une aventure commerciale
maritime et comportant une condition résolutoire en cas de naufrage du navire.
Cette condition couvre l’emprunteur des fonds contre le risque de naufrage
puisque le cas échéant il n’a plus à rembourser ce qu’il a reçu du prêteur. En
contrepartie, il s’engage, en cas d’arrivée à bon port, à payer le capital et
des intérêts (dits maritimes) dont le taux est très fort (ils peuvent atteindre
20%). Le prêt à la grosse aventure (prêt maritime) est un mécanisme de
couverture des risques que l’on connaît depuis l’Antiquité mais que l’Église
condamne précisément à cause de la perception d’intérêts qu’elle interdit
fermement car cela contrevient au principe de charité tiré de la Bible suivant
lequel : da nihil inde sperante
(donne sans rien espérer en retour). Dans ce contexte, des marchands gênois ont
l’idée d’en extraire le mécanisme de transfert de risque du prêt à la grosse
aventure et d’en faire un contrat principal : le contrat d’assurance.
Parce
qu’il prend de l’importance, qu’il génère des contentieux, le contrat
d’assurance est ensuite saisi par le droit. La doctrine, notamment, tente de le
conceptualiser à partir de la fin du XVe siècle. De là, il est possible de
constater une incertitude originelle autour de la définition, de la nature
juridique et, partant, du régime juridique de ce contrat.
Au
XVIIIe siècle encore, l’avocat marseillais Balthazar-Marie Emerigon,
probablement le plus grand spécialiste français du droit des assurances de son
époque, commence son traité des assurances par ce constat : le contrat
d’assurance « étoit un sauvageon non encore cultivé auquel l’esprit du
Commerce a donné le développement et la consistance dont il jouit
aujourd’hui » (sic). Le
développement de l’assurance terrestre au XIXe siècle fait se perpétuer les
incertitudes quant à la nature et le régime juridiques du contrat d’assurance.
Au
fil des réflexions se dessinent alors de grandes dichotomies du droit des
assurances qui permettent de classer les contrats d’assurance. Se distinguent
aussi certains aspects plus spécifiques du contrat d’assurance (critères,
principes directeurs, obligations usuelles).
Ces
réflexions sur le contrat d’assurance – et sa nature qui est toujours resté
incertaine – ont contribué à l’évolution continue du droit des assurances, en
ont façonné la matière, le tout dirigé non seulement par l’esprit du commerce
mais aussi, à partir du milieu du XIXe s., par le besoin généralisé de couvrir
la société entière contre tous les risques.
Pour
répondre au souhait de Monsieur Dessuet de présenter rapidement l’origine
historique des grands principes et des grandes controverses actuels du droit
des assurances nous proposons d’une part un aperçu historique succinct
des grandes dichotomies du droit des assurances (I) ; d’autre part un aperçu
historique plus spécifique du contrat d’assurance (II).
I-
Aperçu historique des grandes dichotomies du droit des assurances
Nous avons isolé deux grandes dichotomies qui ont de
l’importance en matière d’assurance terrestre. Elles sont liées au
développement de l’assurance terrestre et en son sein à celui de l’assurance
vie :
Tout d’abord la distinction entre contrats
d’assurance de personnes et de dommages (A) puis – très liée à celle-ci – la
distinction entre principe indemnitaire et principe de capitalisation (B).
A-
Distinction entre contrats d’assurance de personnes et de dommages
Cette distinction entre contrats d’assurance de
personnes et de dommage est très récente. On en trouve les origines à la fin du
XIXe siècle. Elle n’est consacrée qu’en 1930.
L’origine
de la dichotomie assurances de personnes / assurances de dommages remonte à l’apparition
des assurances de responsabilité civile ; donc aux années 1820. La
jurisprudence, ne validera cependant ces dernières formes d’assurance qu’au
milieu du siècle[1]. Dans la foulée se
développent les contrats d’assurance de responsabilité en cas d’accident du
travail.
Pour
éviter d’avoir à solliciter l’avis du législateur ou du gouvernement, les
assureurs ont pris le soin de distinguer les compagnies d’assurance de
responsabilité civile et contre les accidents des compagnies d’assurance sur la
vie (et par extension ils prennent l’habitude de distinguer les contrats
d’assurance de responsabilité des contrats d’assurance vie). Il n’y a ainsi pas
à obtenir d’autorisation de la part du gouvernement comme c’est le cas pour la
création de sociétés d’assurance vie. Il n’y a pas non plus à se soumettre à
l’étroite surveillance étatique comme c’est encore le cas en matière
d’assurance sur la vie (art. 66 de la loi
de 1867 précisé par décret du 22 janvier 1868).
S’élève
alors une controverse entre ceux pour qui les assurances en cas d’accident du
travail sont des espèces d’assurance-vie et ceux qui y sont opposés parce que
les unes couvrent des dommages et que les autres s’attachent davantage à
couvrir les aléas liés aux personnes sans qu’un accident soit à déplorer.
Alors
que les auteurs ne faisaient pas explicitement la distinction entre assurance
de dommages et assurances de personnes, René Lafarge (député) l’annonce pour la
première fois, officiellement, dans son rapport fait au nom de la commission
d’assurance et de prévoyance sociales chargée d’examiner le projet de loi
relatif au contrat d’assurance terrestre, en 1926 (projet de loi qui deviendra
la loi de 1930).
Voici
comment il justifie cette dichotomie : « [Ce projet] a (…) la
supériorité d’offrir une classification d’ensemble qui faisait défaut [aux
précédents] projets. Ce classement a consisté à grouper dans le titre premier
les règles communes à toutes les assurances et à établir ensuite une distinction
entre les assurances de choses et les assurances de personnes, chacune des deux
catégories faisant l’objet d’un titre spécial. Il est toutefois à observer
qu’entre le titre II (assurance des choses) et le titre IV (assurance des
personnes), le titre III a dû être réservé aux assurances de responsabilité qui
ne pourraient guère se rattacher aux assurances de choses qu’en faisant
intervenir un raisonnement quelque peu spécieux. Cette anomalie fait ressortir
le défaut du mode de distinction proposé. Aussi, tout en reconnaissant la
nécessité d’une distinction générale, avons-nous pensé qu’il était préférable
de la simplifier et d’adopter la méthode suisse et allemande qui consiste à
opposer les assurances de dommages (qui comprennent non seulement les assurances
de choses mais aussi celles de responsabilité), aux assurances de personnes,
qui, bien qu’on l’ait contesté ne sont jamais, à proprement parler, des
assurances de dommages. Aucun doute ne peut s’élever à cet égard pour les
assurances sur la vie. Quant aux assurances contre les accidents, contre
l’invalidité, contre la maladie, contre la vieillesse, elles comportent presque
exclusivement, de la part de l’assureur, des obligations forfaitaires qui, tout
en prenant naissance à l’occasion d’un dommage, ne sont pas en relation directe
avec celui-ci, mais sont, en quelque sorte, artificiellement fixées par les
polices. Au surplus, l’intérêt que l’on peut trouver à la distinction entre
assurances de choses et assurances de personnes est encore apparent quand on
substitue l’expression assurances de dommages à celle d’assurances de choses.
Cet intérêt se réfère notamment à la quotité de la prestation due par
l’assureur (l’assurance de dommages à la différence de l’assurance de
personnes, ne peut procurer un enrichissement à l’assuré), à la nature et aux
effets du contrat (l’assurance de dommages, seule, est un contrat d’indemnité
qui ne peut donner lieu à une indemnité s’il n’y a pas eu dommage). Or toutes
les questions qui peuvent se poser à ce propos trouvent beaucoup plus aisément
leur solution dès qu’on fait intervenir l’idée de dommage et l’idée d’indemnité
qui en est le corollaire. »
Et
là une autre dichotomie d’être évoquée : celle qui consiste à distinguer
principe indemnitaire du principe de capitalisation.
B-
Distinction entre principe indemnitaire et principe de capitalisation
L’Église
ne condamne pas la naissance du contrat d’assurance au Moyen âge par contraste
avec le prêt à la grosse aventure car elle a d’abord considéré que le contrat
d’assurance n’avait pas vocation à enrichir qui que ce soit, ni à spéculer. Le
contrat d’assurance était pour elle censé remplir l’objectif presque charitable
de compenser les effets patrimoniaux du hasard. Subséquemment s’impose l’idée
suivant laquelle l’assuré ne doit pas
réaliser de gains au détriment de son cocontractant. En principe
l’assurance est caractérisée par un aspect
indemnitaire impératif ; c’est le critère le plus ancien de
définition du contrat d’assurance – alors à cheval entre technique de
l’assurance et exigence juridique.
Chercher
à faire un gain à l’occasion de l’assurance expose l’assuré à des sanctions de
nature contractuelle (la nullité ou la déchéance de garantie) mais aussi à des
poursuites pénales prévues dès les Ordonnances de Barcelone puis
entérinées, en France, par l’Ordonnance de la Marine de 1681 (toute première
œuvre législative régulant le droit des assurances en France).
L’assurance
terrestre, puis en son sein l’assurance vie, lorsqu’elles se développent en
France, doivent respecter strictement ce critère indemnitaire[2]. La
jurisprudence confère même au critère indemnitaire un caractère d’ordre public,
dans le silence de la loi[3].
Au
milieu du XIXe s., on observe un changement de paradigme. Le contrat
d’assurance terrestre impose plus clairement un régime juridique qui lui
propre. En son sein, le contrat d’assurance vie force lui aussi la
reconnaissance progressive – par le juge et la doctrine - d’un régime juridique
encore plus spécifique. L’on assiste alors au premier âge d’or de l’assurance
vie (qui est non plus crainte mais soutenue par l’opinion publique et l’État).
Une
explication de ce changement réside dans la Constitution de 1848 instituant en
France une IIe République. Au Préambule on lit notamment que « les
citoyens (…) doivent s’assurer, par le travail, des moyens d’existence, et, par
la prévoyance, des ressources pour l’avenir ». À l’article 13 on lit
encore que : « la société favorise et encourage le développement du
travail (…) les institutions de prévoyance et de crédit, (…) ou encore qu’elle
fournit l'assistance aux enfants abandonnés, aux infirmes et aux vieillards
sans ressources, et que leurs familles ne peuvent secourir. » L’instrument
qui servira à mettre en œuvre tous ces objectifs est, de l’aveu même de
Louis-Napoléon Bonaparte, le contrat d’assurance, le contrat d’assurance vie en
particulier.
Dans
ce contexte sont créées trois Caisses
d’Assurance Populaire sous la coupe de l’État à partir des années 1850 :
les risques garantis sont à la fois le décès des personnes, leur vieillesse
ainsi que leurs accidents. Le Président puis Empereur Louis-Napoléon Bonaparte
admet lui-même qu’il souhaite rapprocher les ouvriers de l’assurance et par la
même occasion les éduquer à la prévoyance par l’épargne/par la capitalisation[4].
Les
caisses d’assurance napoléoniennes sont certes un échec parce qu’elles ne
rencontrent pas leur public mais les assureurs privés vont reprendre le procédé
et permettre plus largement à leurs contrats d’assurances sur la vie de
constituer des moyens d’épargne, de capitalisation et non pas seulement
d’indemnisation. Assurance et capitalisation ne sont désormais plus
antagonistes. On admet même très facilement les doubles assurances sur la vie ;
on écarte l’hypothèse d’une sur-assurance sur la vie précisément parce que ces
contrats permettent d’épargner, d’accumuler des intérêts ce qui est conforme à
la pédagogie et à la politique de prévoyance déployée à partir du règne de
Louis-Napoléon Bonaparte.
Le
contrat d’assurance sur la vie reste difficilement assimilable à un contrat
d’assurance dès lors qu’il devient, dans ces circonstances, de plus en plus
difficile de caractériser le critère indemnitaire[5].
Par contraste, pour le juriste Montluc, en 1870 : « puisque l’assurance sur
la vie est bien une assurance comme une autre, il faut qu’elle soit un contrat
d’indemnité » ; Pour Pont, conseiller à la Cour de cassation : « sans
doute l’assurance n’a pour but que (…) d’indemniser les héritiers ou les tiers
de la perte d’une personne qui leur est chère ; cette perte ne peut pas
s’estimer. Mais elle tend à réparer le dommage matériel que cette mort peut
causer à leur fortune, en les privant de leur principal moyen d’existence, et
sous ce rapport elle se rapproche beaucoup de l’assurance terrestre ».
Suivant
cette conception strictement indemnitaire, tout le monde ne peut pas accéder à
l’assurance-vie, par exemple ceux qui sont dépensiers ou qui ne travaillent pas
dès lors que leur décès ne fait rien perdre à leurs proches.
Et
le juriste Mornard d’évacuer ce
problème dans sa thèse sur l’assurance vie en 1883 : « Qu’importe que [cet
homme assuré] ne fasse rien, et qu’il soit un dissipateur, il n’en constitue
pas moins un capital par lui-même. Prenons une famille riche : le mari ne fait
rien que dissiper la fortune commune ; la ruine arrive ; n’est-il pas
évident qu’à cette époque la femme sera très heureuse d’avoir à ses côtés cet
homme, cause de sa ruine peut-être, mais capital dont l’exploitation va
dorénavant fournir à ses besoins. Cette femme, en un mot, n’est-elle pas plus
riche avec son mari qu’elle ne le serait veuve ? Son mari est pour elle une
valeur et s’il venait à mourir, l’indemnité qu’on lui paierait serait, à coup
sûr, très légitime » (sic).
Aux
côtés de cette doctrine, la Cour de cassation adopte par exemple, en 1880 les
motifs d’une cour d’appel qui refuse de « reconnaître au contrat
d’assurance sur la vie, contracté par un créancier sur la tête de son débiteur,
le caractère et les effets d’un contrat d’indemnité, et a décidé qu’il pouvait
être source d’un bénéfice dans le cas où les primes sont payées par le
créancier ».
Labbé,
professeur de droit et commentateur de l’arrêt au Sirey, dénie à l’assurance en
général le caractère indemnitaire. On n’aurait pas besoin de l’exiger pour
caractériser un contrat d’assurance.
Cette
doctrine est atténuée (parce qu’on en conserve une dichotomie) mais globalement
maintenue (parce que le critère indemnitaire n’est plus indispensable pour
définir un contrat d’assurance). Ainsi dès l’extrême fin du XIXe siècle,
s’impose la distinction entre les assurances répondant à un principe de
capitalisation (assurances-vie) et celles répondant à un principe indemnitaire
(les autres assurances).
Cette
manière de distinguer les contrats est ensuite probablement relayée par
l’illustre Henri Capitant - qui y adhère et qui préside la commission de
rédaction de la future loi de 1930. La dichotomie : assurances de
capitalisation et assurances indemnitaires sont la justification principale de
la distinction entre assurances de dommages et assurances de personnes. On en
retrouve consacrées les conséquences juridiques dans la loi de 1930 : notamment
à travers l’exigence ou non d’un intérêt à l’assurance.
Malgré
une assise historique et juridique certaine, l’on a progressivement dépouillé
le contrat d’assurance d’un critère juridique et moral que l’on pensait indispensable
: son caractère indemnitaire. Il s’agissait de se conformer aux dernières
évolutions du contrat d’assurance. Cela conforte l’idée d’une prise
d’indépendance entre la technique de l’assurance et le contrat d’assurance à
proprement parler. Le tout a été rythmé par les réflexions théoriques sur sa
nature.
Les
auteurs vont, dès lors, se focaliser davantage sur l’autre grand critère de
définition du contrat d’assurance : le critère aléatoire et ce, même si
son exigence commence à être remise en cause au même moment.
Au-delà
des grandes dichotomies, nous entendons donner un aperçu succinct de quelques
aspects plus spécifiques du contrat d’assurance.
II-
Aperçu historique plus spécifique du contrat d’assurance
Nous souhaiterions particulièrement évoquer, comme
souhaité par M. Dessuet, certains aspects spécifiques du droit des assurances
hérités de l’histoire des assurances maritimes et terrestres (A). Par souci de nous
rapprocher le plus possible du thème de cette journée, nous évoquerons ensuite
le premier contact entre assureurs et régime de responsabilité des
constructeurs (B). Cela n’a pas de réel lien, du moins à l’origine et pour les
assureurs, avec l’assurance construction. Pour autant cela a donné l’occasion
au juge, en particulier, de tenter de cerner par exemple la notion déjà très
vague d’ouvrage.
A- Héritages liés à l’histoire
des assurances maritimes et terrestres
Comme annoncé, certains
héritages sont liés à l’histoire de l’assurance maritime (1), d’autres sont
liés à l’émergence de l’assurance terrestre (2), ce qu’il conviendra d’évoquer
tour à tour.
1) Héritages de l’histoire ancienne des assurances
maritimes
Le
contrat d’assurance est un contrat de bonne foi par excellence, ce principe est
un point très appuyé par toute la doctrine. C’est, en effet, un contrat
commercial né et théorisé avec le besoin de s’émanciper des cadres stricts du
droit civil (c’est-à-dire le droit romain). Dès lors, et conformément à la
distinction opérée par le droit romain : si ce n’est pas un contrat de
droit strict, c’est forcément un contrat de bonne foi et le juge, dans son
appréciation du contrat peut se laisser diriger par l’esprit du commerce et l’équité.
En
outre, il convient de relever le déséquilibre structurel entre assureur et
assuré. Historiquement c’est l’assureur qui est en position de faiblesse. Dès
lors le droit de l’assurance se développe en prenant en compte la position de
force de l’assuré, d’où certaines obligations très rigoureuses à l’égard de
l’assuré qui marqueront longtemps la matière – le tout au nom de la bonne foi
et du caractère indemnitaire de l’assurance. Par exemple : l’obligation
de sauvetage imposée en matière maritime. Pour limiter la couverture de
l’assureur, l’assuré doit tout faire pour limiter les dommages. Un autre
exemple concerne l’obligation rigoureuse et étendue d’information de la part de
l’assuré au moment de la conclusion du contrat puis en cours d’exécution du
contrat. Longtemps, l’assuré a dû informer spontanément et librement l’assureur
car il est présumé tout connaître du risque qu’il entend faire couvrir. S’il
omet ou ignore ne serait-ce qu’une seule obligation il prend le risque de ne
pas être couvert par l’assureur.
Enfin,
il convient d’évoquer la question du contrat aléatoire. Dans un contexte marqué
par une spéculation parfois excessive, au XVIIe siècle, on s’attèle à
distinguer les assurances des contrats de jeux et paris. En droit romain, ces
dernières opérations sont appelées aleatores. Le titre De aleatoribus
du Digeste de Justinien les envisage, pour l’essentiel, sous l’angle de la
prohibition.
Incidemment
on a donc aussi rapproché les opérations aléatoires du contrat d’assurance.
Est
ensuite esquissée une catégorie contractuelle : les contrats aléatoires
sous la plume de l’Allemand Puffendorf au XVIIe s., de Prevost de la Jannès au
XVIIIe s. puis de son élève Pothier au XVIIIe s.
Pothier,
Professeur de droit français orléanais et « Père du code civil »,
rédige son Traité des contrats aléatoires
en 1757. Le contrat d’assurance est le premier contrat envisagé. Le contrat
aléatoire devient alors – et pour longtemps- une catégorie de contrats par
contraste avec les contrats commutatifs : « les contrats aléatoires
diffèrent des commutatifs, en ce que dans les commutatifs, ce que chacun des
contractants reçoit, est le juste équivalent d’une autre chose qu’il a donnée
de son côté, ou qu’il s’est obligé de donner à l’autre ; au lieu que dans
les contrats aléatoires, ce que l’un des contractants reçoit, n’est pas
l’équivalent d’une chose qu’il ait donnée, ou qu’il se soit obligé de
donner ; mais c’est l’équivalent d’un risque dont il s’est chargé ».
2) Héritages de l’histoire
plus récente des assurances terrestres
Nous ne citerons qu’un
exemple : la distinction entre la faute lourde et la faute intentionnelle ou
dolosive.
Historiquement,
l’assureur ne couvrait aucun fait provenant de l’assuré. Seuls les faits
accidentels et extérieurs à l’assuré sont couverts. La couverture admise de
dommages causés par des fous est une première inflexion à ce principe. La
pratique se développe alors de couvrir certains faits de l’assuré.
Dans
le projet de loi sur le contrat d’assurance terrestre du 12 juillet 1904, art.
20 l’on entend interdire toute extension de garantie assurantielle aux fautes
lourdes, inexcusables et dolosives. Ces trois termes sont à peu près synonymes
dans l’esprit des rédacteurs.
Henri
Capitant, qui intervient activement dans la rédaction de la loi Godart de 1930,
propose pour sa part de distinguer la faute lourde de la faute intentionnelle
et dolosive. La première est certes grave et même inexcusable, mais elle peut
être garantie car elle ne fausse pas le jeu de l’aléa. La seconde ne peut
aucunement être assurée dès lors que l’assuré a eu l’intention de commettre le
dommage.
Dans
le Rapport Lafarge sur l’article 12 du
projet de loi sur le contrat d’assurance terrestre on lit que :
« l’assureur est normalement responsable des dommages provenant de cas
fortuits ou résultant de la faute de l’assuré. Mais les parties sont libres de
doser sa responsabilité. C’est pourquoi il a paru nécessaire de faire suivre le
premier paragraphe de l’article des mots « sauf exclusion formelle et
limitée contenue dans la police », ne serait-ce que pour supprimer
l’équivoque pouvant résulter de ce que l’article 12 n’est pas compris dans
l’article 2 prévoyant les cas où les prescriptions de la loi peuvent être
modifiées par convention, mais la commission, par la rédaction qu’elle propose,
a entendu bien indiquer son intention de n’exclure de l’assurance le cas
fortuit et les fautes de l’assuré qu’en cas de « clause formelle et
limitée ». Serait donc nulle une clause générale excluant les cas fortuits
et les fautes de l’assuré ou l’une de ces deux hypothèses seulement. Seule la
faute intentionnelle n’est pas prise en charge par l’assureur, et l’expression
« dolosive » n’ajoute rien au terme « intentionnelle ». Ces
deux qualifications données à la faute exclue de la garantie de l’assureur,
sont équivalentes, elles répondent à la même notion : tout dommage causé
avec intention est dolosif, le dol est un manquement intentionnel à une
obligation. L’assurance du dol n’est pas seulement contraire à l’ordre public
et à la morale, elle est impossible, parce qu’il n’y a plus de risque,
c’est-à-dire plus d’éventualité fortuite, quand il y a dol : on est en présence
d’une éventualité purement potestative que l’assureur ne peut couvrir ».
Et
d’ailleurs la loi Godart du 13 juillet
1930 finalement votée dispose en son art. 12 que « Les
pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute
de l’assuré sont à la charge de l’assureur sauf exclusion formelle et limitée
contenue dans la police. Toutefois, l’assureur ne répond pas, nonobstant toute
convention contraire, des pertes et dommages provenant d’une faute
intentionnelle ou dolosive de l’assuré ».
Cette
disposition légale s’est à peu près maintenue jusqu’à nos jours dès lors que l’Art. L. 113-1 du Code des assurances dispose
que : « Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits
ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf
exclusion formelle et limitée contenue dans la police. Toutefois, l’assureur ne
répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou
dolosive de l’assuré ».
Rien
n’a changé en apparence, si ce n’est une tendance jurisprudentielle et des
discussions doctrinales autour de la distinction entre fautes intentionnelles
et fautes dolosives suivant que l’on a recherché ou non le dommage tel qu’il
s’est produit[6]. Dans l’esprit du
législateur de 1930 et historiquement, il n’y en avait pas du tout.
B- Le régime de
responsabilité des constructeurs incidemment pris en compte par les assureurs
dès le début du XXe s.
Le
système récent d’assurance construction repose sur un régime de responsabilité
civile en lien avec le contrat de louage d’ouvrage. Ce régime de responsabilité
lui préexiste largement et on le retrouve aux articles 1792 et s. du Code
civil.
À
titre anecdotique, les articles 1792
et suivant du Code civil puisent leurs racines très anciennes dans une
constitution impériale (romaine) de février 385 de notre ère suivant laquelle
« Tous ceux qui ont été chargés d’entreprises d’ouvrages publics, et qui,
selon l’usage, ont reçu les fonds nécessaires pour subvenir aux dépenses
exigées par l’entreprise, sont obligés, ainsi que leurs héritiers, envers
l’État, pendant quinze ans, à compter du moment de l’exécution en plein de
l’entreprise; afin que si pendant ce temps on découvre quelque vice dans
l’ouvrage provenant de la faute de l’entrepreneur, lui ou ses héritiers soient
tenus de le réparer à leurs frais; sont exceptés cependant les accidents
provenant de cas fortuits ; les entrepreneurs n’en sont point responsables ».
On a là la possibilité de mettre en cause la responsabilité de constructeurs
(et de leurs héritiers) pendant 15 ans. Cependant on a une responsabilité pour
faute dans le cadre de travaux publics.
Le droit coutumier médiéval généralise cette responsabilité
mais en réduit souvent la durée de couverture (un ou trois ans à compter de
l’achèvement des travaux).
Pour Bigot de Préameneu – l’un des rédacteurs du
Code civil - le droit commun français a ensuite rehaussé cette garantie à dix
années et c’est bien cet usage commun que les articles 1792 et 2270 du Code
civil sont censés entériner. De plus, depuis l’époque romaine, le régime de responsabilité
a clairement été objectivé.
Ainsi
lit-on à l’art. 1792 du Code civ. (en 1804) : « Si l’édifice construit à
prix fait, périt en tout ou en partie par le vice de la construction, même par
le vice du sol, les architecte et entrepreneur en sont responsables pendant dix
ans ». L’on a au fil du temps fait disparaître l’idée suivant laquelle il
est possible de s’exonérer du fait de l’absence de faute. Clairement le sort
des constructeurs et des architectes est aggravé. Cela est encore plus évident
à partir de 1978 lorsque l’article 1792 dispose que :« Tout
constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou
l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui
compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses
éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre
à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur
prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère ».
Ce
régime de responsabilité, avant d’être en lien avec une véritable assurance
construction, a suscité l’intérêt des assureurs contre l’incendie qui ont tenté
d’en faire valoir une interprétation la plus large possible. Ce qui les
intéresse alors particulièrement est la caractérisation d’un vice de
construction sur un ouvrage que le locataire (et l’assureur) pourrai(en)t
opposer au propriétaire de l’immeuble en cas d’incendie et ce, afin de tenter
de s’exonérer de la responsabilité sans faute du locataire vis-à-vis du
propriétaire en cas d’incendie d’un immeuble loué[7].
Bien
que recherchant donc, pour l’essentiel, des vices de construction, le juge est
conduit à raisonner sur le fondement des articles 1792 et 2270 du Code civil [8]ainsi que
sur la notion d’ouvrage – qui était déjà difficile à cerner.
En
effet l’article 2270 ancien du Code civil dispose que : « Les architectes,
entrepreneurs et autres personnes liées au maître de l'ouvrage par un contrat
de louage d'ouvrage sont déchargés de la garantie des ouvrages qu'ils ont faits
ou dirigés après dix ans s'il s'agit de gros ouvrages, après deux ans pour les
menus ouvrages. »
Qu’il
s’agisse de la caractérisation du vice de construction ou de l’ouvrage
(idéalement gros) les assureurs restent attentifs à la jurisprudence en la
matière. On la trouve d’ailleurs souvent rapportée et commentée dans les
recueils de jurisprudence en droit des assurances ou bien dans les revues
spécialisées.
En réaction aux aspirations
des assureurs (pour qui il faudrait interpréter ces notions de la manière la
plus large possible), le juge tend à en restreindre le champ. Par exemple un
calorifère, élément accessoire qui se détériore rapidement et indépendant de
l’édifice, ne saurait constituer un « gros ouvrage » suivant une
lecture intentionnellement stricte de la loi civile. Cette distinction entre
gros et menus ouvrages (et réparations) - aujourd’hui abandonnée - semble
héritée de la jurisprudence du Parlement de Paris. Les gros ouvrages sont
globalement les immeubles par nature et les meubles incorporés à perpétuelle
demeure à l’immeuble[9], tandis
que les menus ouvrages sont des ouvrages « extérieurs » aux
bâtiments, qui ne font pas corps avec lui. La jurisprudence a par exemple
considéré que la vitrine d’une boutique ne constitue pas un gros ouvrage ;
un balcon a cependant pu être considéré comme étant un gros ouvrage.
Par
ailleurs, dès le début du XXe siècle, des voix se font entendre parmi les
professionnels de la construction qui soutiennent l’idée de recourir à
l’assurance construction puis vont réclamer sa généralisation. Ainsi peut-on
par exemple, citer, en 1912, l’ouvrage d’un
architecte, Émile Guillot, consacré à la responsabilité décennale des
constructeurs.
En
son sein, toute une section est consacrée à l’assurance professionnelle des
constructeurs (comment s’assurer ? à quelles conditions ? vers quelles
compagnies se tourner ?) :
« La
responsabilité civile des constructeurs (…) est (…) excessivement étendue (…).
Sa durée de dix années contribue à en faire une charge vraiment écrasante.
C’est (…) une épée de Damoclès toujours suspendue sur la tête des architectes,
lesquels sont constamment à la merci d’un évènement imprévu, pouvant leur
amener la ruine et peut être le discrédit. Le seul remède à cette déplorable
situation semble être l’ASSURANCE » (sic).
La
question de l’assurance obligatoire ne pourra, pour sa part, se poser qu’aux
lendemains de la Seconde Guerre Mondiale, moment où le contexte rend possible
une ingérence supplémentaire du législateur dans le contrat d’assurance. Pour
l’assurance construction, cela ne se réalise dans un contexte également marqué
par un phénomène de reconstruction intensive du pays ainsi que par la naissance
véritable en France des contrats d’assurance construction. Une étape décisive
est franchie avec la loi Spinetta du
4 janvier 1978 instituant une double assurance obligatoire de responsabilité et
de réparation des dommages qui entraine notamment dans son sillage, plusieurs
décennies plus tard, toutes les interrogations juridiques qui ont permis à ces
rencontres sur l’assurance construction d’être si passionnantes. »
Charlotte Broussy
[1] Trib. Com. de la Seine, 11 août 1841, Compagnie la
Parisienne ; Cour royale de Paris, 8 janv. 1846, Compagnie l’Automédon.
[4] Art. 3-3° Loi du 18 juin 1850 « qui crée, sous la garantie de
l’État, une caisse de retraites ou rentes viagères pour la vieillesse » ;
Art. 3 Loi du 11 juillet 1868 « portant création de deux caisses
d’assurances, l’une en cas de décès et l’autre en cas d’accidents résultant de
travaux agricoles et industriels »
[5] V. par exemple les écrits du juriste Léveillé, en 1875 : « l’assurance
vie n’étant pas indemnitaire, ce n’est pas à proprement parler un contrat
d’assurance ».
[6] Si l’on a recherché le dommage l’on tombe sous le coup de la faute
intentionnelle ; si le dommage n’est pas recherché alors il s’agit d’une
faute intentionnelle.
[7] Article 1733 du Code civil : « [le locataire] répond de
l'incendie, à moins qu'il ne prouve : Que l'incendie est arrivé par cas fortuit
ou force majeure, ou par vice de construction. Ou que le feu a été
communiqué par une maison voisine » (nous soulignons).
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