La notion
d'"ouvrage", au sens de l'article 1792 du Code civil, est étendue à
l'exécution complète de la prestation, y compris les déchets !
Cass. 3e civ., 30 novembre 2017, 16-24.518, inédit (pourvoi
incident)
Le vendeur d'une maison avait procédé, lui-même, à des
aménagements de la bâtisse en construisant une cuisine à la place d'une grange.
Les déchets de bois de déconstruction de la grange sont
déposés dans le vide sanitaire, sous une bâche. L'humidité aidant, la mérule
s'installe et se propage.
Après une vente du bien, les acquéreurs constatent que
l'ouvrage est impropre à sa destination, en raison de la prolifération du
champignon.
Leur action fondée sur le vice caché est écartée en raison
d'une clause de non-garantie contenue dans le contrat de vente. La
responsabilité du vendeur sur le fondement des articles 1382 et 1382 du Code
civil est aussi rejetée*.
Leur action sur le fondement de la garantie décennale est
admise, le vendeur étant aussi constructeur au sens de l'article 1792-1 du code
civil (dit "castor", cette appellation prend
ici un sens prophétique !).
Jusque-là rien de bien extraordinaire !
En revanche, l'application de la responsabilité décennale
par les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, laisse perplexe :
" Attendu que Mme Z...fait grief à l’arrêt de la condamner solidairement
avec M. Y...à payer diverses sommes aux consorts A...-B...sur le fondement de
la responsabilité décennale des constructeurs ; Mais attendu qu’ayant relevé
qu’il ressortait du rapport d’expertise que le facteur principal de
développement de la mérule était l’abandon par les consorts Y...-Z...de déchets
en bois provenant de la déconstruction de la grange, recouverts par une bâche
en plastique et entreposés dans le vide sanitaire sous la cuisine, et retenu
souverainement que les travaux de transformation de la grange en cuisine,
réalisés entre 2003 et 2005 par M. Y..., constituaient le fait générateur des
désordres imputables au champignon rendant l’immeuble impropre à sa
destination, la cour d’appel n’a pu qu’en déduire que la responsabilité
décennale des consorts Y...-Z...était engagée à l’égard des sous-acquéreurs de
l’immeuble ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ".
Ainsi, un fait
dommageable extérieur à l'exécution de l'ouvrage (bien qu'imputable au
constructeur mais, néanmoins, indépendant de l'exécution en propre de
l'ouvrage), est de nature à mobiliser la garantie décennale dès lors qu'il
affecte l'ouvrage ... comme les existants** !
La notion
d'"ouvrage", au sens de l'article 1792 du Code civil, est ainsi
étendue à l'exécution complète de la prestation, y compris les déchets !
Serions-nous en présence d'un autre exemple où la
responsabilité décennale est rattrapée par la responsabilité civile générale
(voir : Cass., 3e chambre civile, 26 octobre 2017, 16-18.120, publié) ?
Serions-nous revenus à la notion de "vice" de
l'article 1792 du Code civil dans sa version de 1804 ?
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Article 1792 : "Tout constructeur d'un ouvrage est
responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des
dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de
l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de
ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle
responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages
proviennent d'une cause étrangère."
* " Les consorts D.S. réclament, 'en tout état de
cause' aux époux G., au visa des articles 1382 et 1383 du code civil,
l'indemnisation des frais de traitement de la mérule, de remise en état de
l'immeuble et de tous leurs préjudices matériels, financiers et moraux, à
raison d'un défaut d'entretien et de réparation de l'immeuble dont ils savaient
par leurs vendeurs, les consorts D.P., les travaux de rénovation inachevés. Les
époux G. se défendent de toute faute dès lors qu'il est avéré que leurs
successeurs sont intervenus sur le système d'évacuation des eaux usées qu'avaient
installé les consorts D.P. et dont la non-conformité a contribué à l'humidité
de l'immeuble. Outre que les liens contractuels liant les époux G. aux consorts
D.S. font obstacle à la recherche de leur responsabilité délictuelle ou quasi
délictuelle envers leurs acquéreurs, il convient d'objecter que les consorts
D.S. ne peuvent, par ce biais, faire échec à la clause de non garantie insérée
à l'acte de vente et obtenir réparation de désordres affectant l'immeuble, en
lien avec un système rudimentaire d'évacuation des eaux pluviales (recueil des
eaux pluviales à l'aide d'un bidon à défaut de gouttières) parfaitement visible
au moment de la vente et que les acquéreurs ont filmé de concert avec leur
vendeur, ou encore de la défaillance du réseau individuel d'évacuation des eaux
usées lorsque la convention des parties (antérieure à l'entrée en vigueur des
dispositions de l'article L 1331-11-1 du code de la santé publique) prévoyait
qu'il n'avait jamais fait l'objet d'un contrôle technique, que l'acquéreur déclarait
en faire son affaire personnelle, renonçant à tout recours de ce chef et pour
quelque cause que ce soit. Les consorts D.S. seront donc déboutés de leurs
demandes de ce chef (CA Amiens)".
** "la mérule est présente à tous ses stades de
développement : de l'état de spores (poussières rouges sous et dans les meubles
de la cuisine), en passant par l'état végétatif de mycélium dans le vide
sanitaire sous la cuisine, jusqu'au stade ultime de reproduction, celui de
sporophore, - elle est cantonnée dans le vide sanitaire sous la cuisine, dans
la cuisine, au passage de la cuisine vers le salon et sur le mur de refend
ouest entre cuisine et salon, - compte tenu de la dispersion de la mérule grâce
aux spores véhiculées par l'air, sa présence rend l'immeuble impropre à sa
destination: celui ci est insalubre et à dû être quitté par ses occupants...
(CA d'Amiens)".
François-Xavier
AJACCIO
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RépondreSupprimerS'ils avaient parfaitement connaissance ils auraient sans doute pas acheté ?
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