Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 18 décembre 2013
N° de pourvoi: 12-12.182 12-12.323
Non publié au bulletin Rejet
M. Terrier (président), président
SCP Baraduc et Duhamel, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat(s)
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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° Q 12-12. 182 et n° T 12-12. 323 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 23 septembre 2011), qu'à la suite de l'incendie ayant détruit un local technique et électrique d'une unité de production de la société Alsace lait et provoqué sa mise hors service, la société Groupama Alsace, son assureur, après expertise, a indemnisé cette société des dommages directs au bâtiment et à son contenu ainsi que de sa perte d'exploitation dans la limite des garanties souscrites ; que la société Groupama Alsace, aux droits de laquelle vient la société Groupama Grand-Est, (la société Groupama) et la société Alsace lait, ont assigné la société L'Apave alsacienne (l'Apave), organisme de contrôle chargé de la vérification des installations électriques dans le cadre de la réglementation relative à la protection des travailleurs, ainsi que ses assureurs, la société Axa assurances (société Axa) et la société AGF, aux droits de laquelle vient la société Allianz, pour obtenir réparation de leurs préjudices ;
Sur le premier moyen du pourvoi de la société Alsace lait, sur le premier moyen du pourvoi de la société Groupama pris en ses troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches et sur le second moyen de la société Groupama, réunis :
Attendu que la société Alsace lait et la société Groupama font grief à l'arrêt de les débouter de toutes leurs demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que dans tout circuit terminal des installations électriques d'un établissement soumis aux dispositions du décret n° 88-1056 du 14 novembre 1988, doit être placé un dispositif de coupure d'urgence, aisément reconnaissable et disposé de manière à être facilement et rapidement accessible, permettant en une seule manoeuvre de couper en charge tous les conducteurs actifs ; qu'en se bornant à relever que « la coupure d'urgence n'est envisagée que dans les circuits terminaux (article 10 du décret), le contrôle devant porter notamment sur le « sectionnement et la coupure d'urgence des installations », en ce qui concerne les installations des domaines haute tension A et B (HTA et HTB) et basse tension A et B (BTA et BTB), circuits de distribution comme circuits terminaux, équipements et matériels d'utilisation inclus (annexe I de l'arrêté du 20 décembre 1988) », puis affirmer que ni les rapports produits ni les conclusions du rapport d'expertise n'auraient permis de mettre en évidence un manquement de l'Apave alsacienne, chargée d'une mission de contrôle technique portant, notamment, sur la conformité des installations électriques du site de Hoerdt aux dispositions du décret précité du 14 novembre 1988, à ses obligations de vérification et de conseil sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, d'une part, les installations électriques concernées n'étaient pas dépourvues de tout dispositif de coupure d'urgence permettant leur mise hors tension immédiate et disposé de manière à être facilement et rapidement accessible, ainsi que l'avait constaté l'expert judiciaire et, d'autre part, si l'Apave alsacienne avait, comme elle le devait, signalé et attiré l'attention de la société Alsace lait sur l'absence d'un tel dispositif de coupure d'urgence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, ensemble les articles 10 et 53 du décret n° 88-1056 du 14 novembre 1988, et l'article 1er de l'arrêté du 20 décembre 1988 fixant la périodicité, l'objet et l'étendue des vérifications des installations électriques ainsi que le contenu des rapports relatifs auxdites vérifications ;
2°/ que le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; que l'expert judiciaire relevait dans son rapport, en des termes clairs et précis, l'absence de tout « organe d'arrêt d'urgence », « permettant de mettre hors tension, de manière rapide et efficace, l'intégralité des installations électriques de l'unité de production concernée » ; qu'en retenant que les conclusions du rapport d'expertise judiciaire ne permettaient pas de mettre en évidence un manquement de l'Apave alsacienne à ses obligations de vérification et de conseil portant sur l'absence de dispositif de coupure d'urgence dans les circuits terminaux, la cour d'appel a dénaturé ce rapport et violé l'article 1134 du code civil ;
3°/ que dans tout circuit terminal des installations électriques d'un établissement soumis aux dispositions du décret n° 88-1056 du 14 novembre 1988, doit être placé un dispositif de coupure d'urgence, aisément reconnaissable et disposé de manière à être facilement et rapidement accessible, permettant en une seule manoeuvre de couper en charge tous les conducteurs actifs ; qu'il est admis que ce dispositif commande plusieurs circuits terminaux ; que l'article 12 de l'arrêté préfectoral d'autorisation de l'installation du 10 août 1987 ne prévoyait la mise en place que d'un « interrupteur général permettant de couper le courant en cas de nécessité et après les heures de travail » ; qu'en considérant que l'Apave alsacienne n'était pas tenue de signaler l'absence d'un tel interrupteur, prescrit par cet arrêté, et de conseiller sa mise en place sans rechercher, comme il le lui était demandé, si elle n'avait pas manqué à son obligation de signaler l'absence d'un dispositif de coupure d'urgence, aisément reconnaissable et disposé de manière à être facilement et rapidement accessible, permettant en une seule manoeuvre de couper en charge tous les conducteurs actifs, conforme aux prescriptions de l'article 10 du décret du 14 novembre 1988, et d'indiquer les mesures à prendre afin de remédier à ce défaut, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte et de l'article 1147 du code civil ;
4°/ que le vérificateur technique, chargé d'une mission de contrôle réglementaire prévu par l'article 53 du décret n° 88-1056 du 14 novembre 1988, portant sur la conformité des installations électriques aux prescriptions dudit décret, tenu d'établir un rapport détaillé tenu à la disposition de l'inspecteur du travail et dont la conclusion précise nettement les points où les installations s'écartent des dispositions du décret et des arrêtés pris pour son application, et motive ses observations en se référant aux articles concernés afin de permettre de prendre ou de faire prendre toutes les dispositions propres à assurer la conformité des installations avec ces prescriptions, n'est pas dispensé d'exécuter cette obligation, qui constitue l'objet même de son intervention, imposée et définie par ledit décret, par la seule connaissance que l'exploitant peut avoir du défaut de conformité des installations, en considération de laquelle il est seulement possible, le cas échéant, d'estimer que celui-ci a commis une faute qui, ayant contribué à la production de son préjudice, ne peut justifier qu'une exonération partielle de la responsabilité du contrôleur ; qu'en retenant que l'Apave alsacienne, chargée de cette mission, et qui s'était engagée, en outre, à fournir une prestation de qualité non limitée au seul examen réglementaire mais accompagnée de conseils sur les mesures à prendre, n'avait pas à mentionner dans son rapport à conseiller la société Alsace lait, au demeurant profane en la matière, sur le défaut de conformité des installations résultant de l'absence de dispositif de coupure d'urgence prescrit par l'article 10 du décret du 14 novembre 1988, dès lors que ce dispositif aurait été imposé par l'autorisation administrative d'exploitation originelle que l'exploitant, qui n'aurait pu l'ignorer, aurait dû mettre en application sans que le concours du vérificateur soit nécessaire, la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, ensemble les articles 10 et 53 du décret n° 88-1056 du 14 novembre 1988, et l'article 1er et l'annexe II de l'arrêté du 20 décembre 1988 fixant la périodicité, l'objet et l'étendue des vérifications des installations électriques ainsi que le contenu des rapports relatifs auxdites vérifications ;
5°/ que le contrôleur technique, qui s'engage à vérifier la sécurité des installations électriques d'un établissement et à conseiller son exploitant sur les mesures à prendre, n'est pas dispensé d'exécuter ses obligations contractuelles par les connaissances de son cocontractant ; qu'en excluant toute faute de l'Apave alsacienne au motif inopérant qu'il appartenait à la société Alsace lait, qui n'aurait pu l'ignorer, de mettre en place un interrupteur général permettant de couper le courant en cas de nécessité conformément à l'article 12 de l'arrêté préfectoral du 10 août 1987 sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le contrôleur, qui s'était engagé à fournir une prestation de qualité non limitée au seul examen réglementaire mais accompagnée de conseils sur les mesures à prendre, n'avait pas omis d'attirer l'attention de son cocontractant, au demeurant dépourvu de toute compétence en la matière, sur l'absence d'un tel dispositif de sécurité et de le conseiller sur les mesures à prendre en conséquence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
6°/ qu'en se bornant à retenir qu'en application de l'article 3 de l'arrêté du 20 décembre 1988, l'Apave alsacienne, qui n'intervenait pas pour la première fois, n'aurait pas été tenue de signaler les non-conformités déjà existantes lors de la vérification initiale, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le contrôleur ne s'était pas engagé à effectuer une vérification non limitée au seul examen réglementaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
7°/ que les vérifications périodiques des installations électriques des établissements soumis aux dispositions du décret du 14 novembre 1988 doivent, comme leur vérification initiale, porter sur la conformité des installations à l'ensemble des prescriptions dudit décret ; qu'en retenant que l'Apave, chargée notamment d'une mission de contrôle technique réglementaire prévu par l'article 53 du 14 novembre 1988, n'aurait pas été tenue de signaler lors de chaque vérification périodique les non conformités déjà existantes lors de la vérification initiale, telle l'absence d'un organe d'arrêt d'urgence conforme aux prescriptions de l'article 10 du décret précité, dès lors qu'elle n'intervenait pas pour la première fois au sein de l'établissement, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, ensemble les articles 53 du décret n° 88-1056 du 14 novembre 1988, les articles 1er et 7, et l'annexe II, de l'arrêté du 20 décembre 1988 fixant la périodicité, l'objet et l'étendue des vérifications des installations électriques ainsi que le contenu des rapports relatifs auxdites vérifications ;
8°/ qu'en se bornant de relever que lorsqu'un vérificateur ou un organisme vérificateur intervient pour la première fois dans un établissement, la vérification qu'il effectue doit être conduite comme une vérification initiale, autant qu'il le juge nécessaire afin d'avaliser les documents mis à sa disposition, et que l'Apave alsacienne n'intervenait pas pour la première fois au sein de l'établissement, sans relever que l'absence d'un organe d'arrêt d'urgence conforme aux prescriptions de l'article 10 du décret du 14 novembre 1988 aurait été signalé par ce contrôleur lors de sa vérification initiale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, de l'article 10 du décret du 14 novembre 1988, des articles 1, 3, 7, et de l'annexe II de l'arrêté du 20 décembre 1988 fixant la périodicité, l'objet et l'étendue des vérifications des installations électriques ainsi que le contenu des rapports relatifs auxdites vérifications ;
9°/ que l'Apave s'était engagée à vérifier la conformité de l'installation aux normes de sécurité qui s'imposaient à la société Alsace lait ; qu'en jugeant que l'inexécution par la société Alsace lait de l'arrêté du 10 août 1987, en ce que ce dernier prescrivait la mise en place d'un interrupteur général, exclurait tout manquement de l'Apave à ses obligations, sans vérifier, comme il lui était demandé, si l'Apave n'était pas fautive pour n'avoir pas signalé à la société Alsace lait la non-conformité de l'installation à l'arrêté du 10 août 1987, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
10°/ que la faute de la victime qui a concouru à la production du dommage n'est de nature à exonérer que partiellement l'auteur du dommage de sa propre responsabilité ; qu'en jugeant, après avoir relevé qu'il « est de fait que les services du SDIS ont constaté que plusieurs installations étaient restées sous tension à leur arrivée, ce qui en matière de feu d'origine électrique n'a pas pu manquer de gêner la lutte contre le feu et de favoriser son développement », que le manquement de l'Apave à son obligation de signaler la nécessité de systèmes de coupure d'urgence prescrits par l'article 10 du décret n° 88-1056 du 14 novembre 1988 n'engageait pas sa responsabilité, au motif que « la prescription ressortissait de l'autorisation administrative d'exploitation originelle et qu'il incombait au premier chef à l'exploitant, qui ne pouvait l'ignorer, ni la méconnaître, de la mettre en application sans que le concours d'un vérificateur soit nécessaire », ce qui ne constituait pas un cas de force majeure exonératoire de responsabilité pour l'Apave, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
11°/ que l'expert a relevé que « les opérateurs de l'unité de production concernée ne disposaient d'aucun moyen leur permettant de mettre hors tension, de manière rapide et efficace, l'intégralité des installations électriques de l'unité de production concernée. Une telle mise hors tension s'effectue par un organe d'arrêt d'urgence destiné à cet effet. Cet arrêt d'urgence est inexistant », sans limiter son constat d'absence de systèmes d'arrêt d'urgence aux circuits non terminaux ; qu'en jugeant que la responsabilité de l'Apave n'était pas engagée pour n'avoir pas relevé, lors de sa vérification de la conformité de l'installation à l'article 10 du décret du 14 novembre 1988, l'absence de systèmes de coupure d'urgence, au motif que la coupure d'urgence n'y est envisagée que dans les circuits terminaux, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la prescription, prévue par l'arrêté préfectoral du 10 août 1987 portant autorisation d'exploiter la laiterie, de mettre en place un interrupteur général, dont l'absence a gêné la lutte contre le feu et a favorisé l'extension de l'incendie, incombait au premier chef à l'exploitant qui ne pouvait ignorer ni méconnaître l'obligation d'y satisfaire sans que le concours d'un vérificateur soit nécessaire, et que les dispositions particulières du décret du 14 novembre 1988 relatif à la protection des travailleurs dans les établissements qui mettent en oeuvre des courants électriques et de l'arrêté du 20 décembre 1988 fixant la périodicité, l'objet et l'étendue des vérifications des installations électriques ainsi que le contenu des rapports relatifs auxdites vérifications régissant la mission de l'Apave ne prévoyaient l'installation d'une coupure d'urgence que dans les circuits terminaux, et retenu, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que ni les rapports produits par l'Apave, ni les conclusions du rapport d'expertise ne mettaient en évidence un manquement de celle-ci à ses obligations de vérification et de conseil sur ces points, la cour d'appel a pu, sans dénaturation du rapport d'expertise et par ces seuls motifs, en déduire que les demandes de la société Alsace lait et de la société Groupama ne pouvaient être accueillies ;
D'ou il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen de la société Alsace lait, pris en ses deux premières branches et sur le premier moyen de la société Groupama, pris en ses deux premières branches, réunis, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant constaté que la totalité du local technique avait été détruite par le feu et relevé que la cause de l'incendie n'était pas établie de manière certaine, la cour d'appel a pu en déduire que les demandes fondées sur l'absence de vérifications sur des surintensités des circuits terminaux ne pouvaient être accueillies ;
D'ou il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen de la société Alsace lait, pris en sa troisième branche et sur le premier moyen de la société Groupama, pris en sa huitième branche, réunis, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé que l'absence de parois coupe-feu « deux heures » au droit du local technique, qui a favorisé la propagation de l'incendie, était un élément d'équipement qui tenait à la protection générale des bâtiments contre l'incendie et retenu qu'il n'entrait pas dans le champ de la mission confiée à l'Apave, la cour d'appel a pu en déduire, sans dénaturation du contrat, que le contrôleur n'avait pas commis de faute ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen de la société Alsace lait, pris en ses quatrième, cinquième, sixième et septième branches et sur le premier moyen de la société Groupama, pris en ses neuvième, dixième, onzième et douzième branches, réunis, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé que l'expert judiciaire n'invoquait la violation d'aucun texte ni norme quant à l'absence de presse-étoupe, et retenu, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, qu'il n'était pas démontré que des presse-étoupes auraient joué un rôle retardateur du feu, la cour d'appel, qui n'était pas de tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant relatif au jugement, en déduire, sans dénaturation du contrat, que les demandes de la société Alsace lait et de la société Groupama ne pouvaient être accueillies ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le premier moyen de la société Alsace lait, pris en sa deuxième branche et sur le second moyen de la société Groupama, pris en sa deuxième branche qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission des pourvois ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Alsace lait et la société Groupama Grand Est aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Alsace lait et la société Groupama Grand Est à verser la somme globale de 3 000 euros à la société l'Apave alsacienne et à la société Allianz ainsi que la somme globale de 3 000 euros à la société Axa France IARD anciennement dénommée Axa assurances ; rejette les demandes des sociétés Alsace lait et Groupama Grand Est ;
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