vendredi 19 décembre 2014

La faute de l'avocat dissuadant son client d'introduire procès n'engage pas sa responsabilité si cette action n'aurait pu en aucun cas prospérer

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 10 décembre 2014
N° de pourvoi: 13-27.729
Non publié au bulletin Rejet

Mme Batut (président), président
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)


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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 10 septembre 2013), que le permis de construire qui lui avait été délivré pour la réalisation d'un projet d'aménagement de logements ayant été annulé par les juridictions administratives, M. X... a assigné son avocat, M. Y..., pour manquement à son devoir de conseil, lui reprochant une appréciation erronée des chances de succès d'une action en responsabilité contre la commune ;

Sur le troisième moyen, qui est préalable :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen, que le juge civil n'est compétent pour trancher une question de droit administratif que s'il existe « clairement une jurisprudence administrative bien établie » ; qu'en imputant à faute à la victime d'avoir engagé les travaux sans attendre le délai de recours contentieux et sans procéder à une demande de permis de démolir, tout en omettant de vérifier que ces points litigieux procédaient d'une jurisprudence bien établie, la cour d'appel, qui s'est abstenue de poser une question préjudicielle et a tranché une difficulté sérieuse dont dépendait la solution du litige, a excédé ses pouvoirs en violation de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III ;

Mais attendu que la cour d'appel n'a porté d'appréciation, ni sur un acte administratif, ni sur la responsabilité de l'administration, ni sur ses rapports avec ses administrés ; qu'elle n'a fait qu'user de ses pouvoirs en recherchant, pour se prononcer sur la responsabilité de l'avocat, les chances de succès de l'action en responsabilité à l'encontre de la commune qu'il lui était reproché d'avoir déconseillée à son client ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que le coût des travaux inutilement exécutés en conséquence de l'annulation d'un permis de construire constitue un préjudice indemnisable ; qu'en déboutant l'intéressé de ce chef en raison de l'absence de remboursement du prêt de financement, quand la délivrance du permis de construire illégal constituait en soi un fait emportant en lui-même la survenance du dommage, confondant ainsi le coût des travaux réalisés et le coût total du crédit impayé, la cour d'appel a violé l'article 1149 du code civil ;

2°/ que le coût des immobilisations découlant de l'illégalité du permis de construire annulé constitue un préjudice indemnisable ; qu'en déboutant l'intéressé de ce chef en raison de la procédure de saisie immobilière quand le commandement de payer avait été délivré le 29 juillet 1992 et que le jugement d'annulation du permis de construire avait été rendu le 17 décembre 1991, se prononçant ainsi par des motifs juridiquement inopérants, la cour d'appel a violé l'article 1149 du code civil ;

3°/ que le coût de l'abandon du projet de construction constitue un préjudice indemnisable découlant de l'illégalité du permis de construire ; qu'en s'appuyant, pour débouter M. X... de sa demande d'indemnisation, sur la déchéance du terme pour cause d'impayés prononcée le 10 juillet 1991, tandis que l'abandon du projet était survenu dès le dépôt de la requête en annulation du permis de construire le 4 janvier 1991, la première échéance impayée ne datant que du 20 janvier suivant, la cour d'appel a violé l'article 1149 du code civil ;

4°/ que les troubles dans les conditions d'existence constituent un préjudice indemnisable consécutif à l'illégalité du permis de construire ; qu'en déclarant le contraire bien que le bénéficiaire du permis illégal eût subi de tels troubles dès le jugement d'annulation du 17 décembre 1991, indépendamment des poursuites ultérieures de la banque, la cour d'appel a violé l'article 1149 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que M. X... avait cessé de rembourser les échéances de l'emprunt contracté pour le financement de l'opération immobilière avant l'annulation du permis de construire, alors que ses logements étaient encore loués, et qu'il avait ainsi encouru une déchéance du terme, suivie d'une procédure de saisie immobilière ayant abouti à la vente des biens saisis, la cour d'appel a pu en déduire que les chefs de préjudice invoqués au soutien de sa demande, résultant exclusivement de sa défaillance, étaient sans lien avec l'irrégularité du permis de construire et avec les conséquences de son annulation ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que manque à son obligation de conseil et commet une faute l'avocat qui, en méconnaissance de la jurisprudence, déconseille à son client d'exercer une action en justice ; que le préjudice réparable consécutif à cette faute est constitué par la perte de chance d'obtenir satisfaction mesurée à la probabilité du succès de l'action ; qu'en se fondant sur l'absence prétendue de probabilité du succès de l'action contre la commune pour en déduire que l'avocat avait rempli son obligation de conseil en privilégiant un recours contre l'architecte de sorte qu'aucune faute ne pouvait lui être reprochée, commettant ainsi une confusion entre la faute de l'avocat résultant de la méconnaissance de son obligation de conseil et le préjudice découlant de la perte de chance de succès de l'action en justice, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu que la faute de l'avocat qui dissuade son client d'introduire une action en justice n'engage pas la responsabilité de ce professionnel si cette action n'aurait pu en aucun cas prospérer ;

Et attendu qu'après avoir relevé une erreur d'appréciation de M. Y... pour avoir indiqué à son client que la responsabilité de la commune pouvait seulement être engagée pour faute lourde, alors qu'une jurisprudence établie n'exigeait qu'une faute simple, l'arrêt retient, d'une part, que les fautes commises par l'administré, sans lesquelles le permis n'aurait jamais été délivré, ont, seules, été à l'origine de l'annulation de ce titre, et, d'autre part, que le lien de causalité entre la faute imputée à la commune et le préjudice allégué n'est pas établi ; que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a justement déduit qu'une action contre la commune n'aurait pu aboutir ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... ; le condamne à payer la somme globale de 3 000 euros aux défendeurs ;


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