vendredi 19 décembre 2014

Lorsque l'entrepreneur quitte le chantier à tort...

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mardi 9 décembre 2014
N° de pourvoi: 12-26.384
Non publié au bulletin Cassation partielle

M. Terrier (président), président
Me Blondel, SCP Boulloche, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Vincent et Ohl, avocat(s)


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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Donne acte à la société Rémy menuiserie du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le GIE Groupama Nord-Est ;

Donne acte à la SCP A...- B...- C... de son intervention volontaire en qualité de mandataire judiciaire de la société Rémy menuiserie ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 10 juillet 2012), que M. et Mme X... ayant fait construire une maison, sous la maîtrise d'oeuvre de M. Y..., architecte, ont confié les travaux à la société Rémy menuiserie, assurée par la société Compagnie Groupama Nord-Est ; que le chantier a pris du retard avant d'être arrêté le 20 septembre 2006 ; que le 8 décembre 2006, une tempête ayant arraché la toiture, les époux X... ont après expertise, assigné en indemnisation la société Rémy menuiserie, qui a appelé en garantie son assureur et l'architecte ainsi que par erreur le GIE Groupama Nord-Est ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société Rémy menuiserie fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en garantie formée contre son assureur au titre du coût des travaux de reprise découlant de l'envol de la toiture du pavillon en construction des époux X..., alors, selon le moyen :

1°/ qu'il résulte du libellé même de la clause d'exclusion relative à l'arrêt des travaux, telle que reproduite dans l'arrêt attaqué, que sont exclus de la garantie complémentaire des dommages matériels avant achèvement des travaux, les seuls dommages qui, non seulement sont survenus après l'expiration d'un délai de trente jours suivant l'arrêt des travaux, mais qui peuvent également être regardés comme résultant de l'arrêt des travaux, ce qui postule l'existence d'un lien de cause à effet entre l'arrêt des travaux et le dommage au titre duquel la garantie est sollicitée ; que dès lors en ne s'intéressant qu'au délai qui s'était écoulé entre la date de l'arrêt des travaux et celle de l'envol de la toiture, sans s'être assuré que l'envol de la couverture résultait de l'arrêt des travaux, au sens de la police d'assurance, la cour d'appel ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 1134 du code civil, violé ;

2°/ que dans ses dernières conclusions d'appel, la société Rémy menuiserie avait opposé au moyen tiré par la société Groupama de la clause excluant de la garantie les dommages consécutifs à l'arrêt des travaux, la clause du même contrat d'assurance qui énumérait, au nombre des dommages couverts par la garantie complémentaire, ceux résultant d'un événement climatique, tel une tempête ; que dès lors, en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée, si l'envol de la toiture n'avait pas pour cause principale, sinon exclusive, non point l'arrêt des travaux, mais la violente tempête du 8 décembre 2008 et si les dommages consécutifs à l'envol de la toiture ne devaient pas être à ce titre pris en charge par la compagnie d'assurances, la cour d'appel prive son arrêt de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, violé ;

3°/ qu'il résulte des constations même de l'arrêt que l'envol de la toiture était consécutif à une faute commise par la société Rémy menuiserie, en ce qu'elle n'aurait pas procédé au scellement d'un poteau, ce qui expliquait que la toiture n'ait pas résisté aux efforts de soulèvement résultant de l'action du vent ; qu'il en résulte que les dommages consécutifs à l'envol de la toiture trouvaient leur origine, comme l'avaient d'ailleurs retenu les premiers juges, dans une faute commise par la société Rémy menuiserie lors de l'exécution du chantier, et non dans l'abandon de ce dernier ; qu'en considérant néanmoins que les dommages résultant de l'envol de la toiture devaient être exclus de la garantie de la société Groupama, la cour d'appel ne tire pas les conséquences de ses constatations, violant ce faisant l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la société Rémy menuiserie, n'avait pas scellé la charpente avant d'abandonner le chantier, le 20 septembre 2006, et avait commis une faute à l'origine de l'envol, le 8 décembre 2006, de la couverture de la maison en construction, et retenu que l'assurance qu'elle avait souscrite garantissait les malfaçons d'exécution mais excluait les dommages résultant d'un arrêt des travaux et survenant après l'expiration d'un délai de trente jours après celui-ci, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de faire des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que la société Groupama du Nord-Est n'était pas tenue à garantie ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société Rémy menuiserie fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en garantie formée contre l'architecte, alors, selon le moyen :

1°/ qu'il appartient à l'architecte de transmettre aux entrepreneurs concernés l'ensemble des documents techniques et contractuels qui leur sont nécessaires pour mener à bien l'opération de construction ; que, s'appuyant sur le premier rapport d'expertise de M. Z... du 18 mai 2007, la société Rémy menuiserie avait notamment reproché à l'architecte, M. Y..., de s'être montré totalement défaillant dans l'accomplissement de la tâche qui était la sienne, d'élaborer et de diffuser auprès des entrepreneurs concernés, les documents techniques et contractuels, dont le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) ; qu'elle avait également souligné le lien de causalité entre cette carence avérée de l'architecte et les désordres observés, qu'il s'agisse de l'absence de réalisation d'une trémie et d'un sous-toit qui auraient pu réduire la prise au vent de la toiture ou de certaines malfaçons qui ont pu être imputées à la société Rémy menuiserie, s'agissant par exemple du caractère non parfaitement jointif des panneaux de façades arrières ; qu'en s'abstenant de rechercher si, indépendamment de tout vice de conception, la responsabilité de l'architecte n'était pas engagée à ce titre et si dès lors, la société Rémy menuiserie ne pouvait être regardée comme fondée en son appel en garantie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;


2°/ que si, en règle générale, la mise en sécurité du chantier pendant la réalisation des travaux relève de la seule responsabilité des entrepreneurs, et non celle de l'architecte, il en va autrement lorsque l'architecte a connaissance de l'abandon du chantier par l'un des entrepreneurs ; qu'en ce cas, il lui appartient de prendre les mesures propres à garantir la conservation des ouvrages existants ; que dès lors, en s'abstenant de rechercher, comme elle y était également invitée, si en raison du laps de temps qui s'était écoulé entre l'abandon du chantier par la société Rémy menuiserie et la tempête qui avait provoqué l'envol de la toiture le 8 décembre 2006, l'architecte ne pouvait se voir imputer à tout le moins une part de responsabilité, quand bien même l'abandon de chantier eût-il été en lui-même entièrement imputable à la société Rémy menuiserie, pour n'avoir pas pris la moindre initiative pour assurer la sécurité de l'ouvrage en cours de construction, lors même qu'il était parfaitement informé de l'arrêt des travaux et de l'absence de scellement du poteau incriminé par l'expert judiciaire, la cour d'appel prive de nouveau sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, de plus fort violé ;

Mais attendu qu'ayant relevé que l'expert n'avait retenu aucun manquement à l'encontre de l'architecte et avait estimé que les désordres litigieux constituaient des malfaçons d'exécution et non des fautes de conception, et retenu que les conséquences de l'abandon du chantier par la société Rémy menuiserie ne pouvaient être imputées à l'architecte, la cour d'appel, qui a retenu qu'en l'absence de faute établie de l'architecte, la demande de garantie formée contre lui par la société Rémy menuiserie ne pouvait aboutir, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société Rémy menuiserie fait grief à l'arrêt de la condamner à payer aux époux X... la somme de 33 467, 97 euros au titre des travaux inachevés, alors, selon le moyen, qu'en vertu du principe de la réparation intégrale du dommage, l'indemnisation ne peut excéder le préjudice réellement subi ; qu'il s'ensuit que la société Rémy menuiserie ne pouvait être condamnée à indemniser les époux X..., au titre des travaux inachevés, qu'à la condition que les travaux en cause aient été préfinancés par le maître de l'ouvrage, comme l'avaient du reste exactement retenu les premiers juges, qui avaient considéré qu'aucune somme ne pouvait être mise à la charge de la société Rémy menuiserie pour les travaux inachevés, dès lors qu'il n'était pas allégué qu'ils avaient été réglés ; que dès lors, en condamnant la société Rémy menuiserie à supporter le coût des travaux inachevés, au motif impropre que les premiers juges se seraient rendus coupables quant à ce d'une omission de statuer, et sans s'expliquer sur l'objection soulevée par la société Rémy menuiserie qui, reprenant à son compte l'objection soulevée par les premiers juges, avaient reproché à l'expert judiciaire de ne pas s'être livré à un pointage suffisamment précis permettant de distinguer les ouvrages facturés de ceux qui n'avaient pas été réalisés, mais qui n'avaient pas été davantage facturés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1149 du code civil, ensemble au regard du principe de la réparation intégrale du dommage ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la société Rémy menuiserie avait quitté le chantier en prétendant ne pas avoir été payée et que la facturation des ouvrages réalisés par elle était excessive compte tenu de l'état d'avancement des travaux, non conforme aux engagements pris, la cour d'appel, qui a pu en déduire, réparant l'omission de statuer des premiers juges, qu'il était dû au titre des travaux inachevés une somme qu'elle a souverainement appréciée, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :

Vu l'article 1147 du code civil ;

Attendu que pour rejeter la demande des époux X... en paiement de la somme de 27 755 euros au titre des pénalités de retard, l'arrêt retient que l'expert note ne plus disposer du marché passé avec la société Rémy menuiserie prouvant que l'indemnité journalière de retard est de 455 euros, qu'en cet état, les époux X... ne peuvent qu'être déboutés de ladite réclamation ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les époux X... produisaient un exemplaire du marché dont l'article 4. 03, relatif aux pénalités de retard mentionnait qu'« au cas où les travaux ne seraient pas terminés dans les délais fixés au créancier d'exécution, les retards seront sanctionnés par l'application d'une pénalité de 455 euros jour calendaire de retard », la cour d'appel n ¿ a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute les époux X... de leur réclamation au titre des pénalités de retard, l'arrêt rendu le 10 juillet 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Reims, autrement composée ;

Condamne la société Rémy menuiserie et la SCP A...- B...- C... ès qualités aux dépens des pourvois ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Rémy menuiserie et la SCP A...- B...- C... ès qualités à payer à la société Compagnie Groupama Nord-Est, la somme de 3 000 euros, à M. Y..., la somme de 3 000 euros, à M. et Mme X..., la somme globale de 3 000 euros ; rejette la demande de la société Rémy menuiserie et la SCP A...- B...- C... ès qualités ;


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