lundi 24 novembre 2014

Un trouble de jouissance n'est pas une perte d'exploitation

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 12 novembre 2014
N° de pourvoi: 13-21.609
Non publié au bulletin Rejet

M. Terrier (président), président
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Fabiani et Luc-Thaler, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)


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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Donne acte à la société Sofrapel du désistement de son pourvoi incident ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 16 mai 2013), qu'à la suite de désordres affectant la peinture de deux bassins de rééducation d'un de ses établissements, la Mutuelle générale de l'éducation nationale (la MGEN) a assigné la société Sofrapel, fabricant des produits utilisés, et l'assureur de celle-ci, la société Axa France, en indemnisation ;

Attendu que la société Axa France fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement qui l'a condamnée, in solidum avec la société Sofrapel, à payer à la MGEN une certaine somme au titre du préjudice subi en raison de l'indisponibilité du grand bassin alors, selon le moyen :

1°/ que le juge ne peut modifier l'objet du litige tel qu'il résulte des conclusions respectives des parties ; qu'en l'espèce, il résulte des écritures échangées devant la cour d'appel, que la MGEN sollicitait la somme de 53 452,44 euros en réparation d'un préjudice d'exploitation résultant de l'indisponibilité du grand bassin, ce à quoi s'opposaient ses adversaires, en faisant valoir que le centre de rééducation ne rapportait pas la preuve d'une perte de revenus effective ; que, pour écarter ce moyen, et condamner in solidum la société Sofrapel et Axa France IARD à verser à la MGEN la somme susmentionnée, les juges du second degré ont requalifié d'office en « trouble de jouissance » le préjudice de la MGEN, retenu que celle-ci avait nécessairement subi un trouble de cette nature en raison de la fermeture du grand bassin, et qu'il convenait de lui allouer une indemnité « forfaitaire » pour réparer ce préjudice ; qu'en statuant ainsi, quand aucune des parties n'avait fait référence à l'existence d'un tel préjudice ni à cette modalité d'indemnisation, la cour d'appel a modifié l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'à cet égard, il ne peut fonder sa décision sur des moyens de droit relevés d'office sans avoir, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, la MGEN avait sollicité le versement d'une somme de 53 452,44 euros au titre d'un préjudice d'exploitation lié à l'indisponibilité du grand bassin sur une période de plusieurs mois ; que la société Axa France s'opposait à cette prétention, en faisant valoir que la preuve d'une perte de clientèle ou de revenus n'était pas établie ; que pour allouer au centre de rééducation la somme réclamée, l'arrêt énonce que le préjudice d'exploitation, a été improprement qualifié par la MGEN, et s'analyse en réalité en un « trouble de jouissance » qu'il convient d'indemniser « forfaitairement » ; qu'en statuant ainsi, sans inviter, au préalable, les parties à s'expliquer sur ce préjudice, qu'aucune d'elles n'avait invoqué, et sur le mode d'indemnisation approprié pour assurer sa réparation, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ que la réparation d'un préjudice ne peut être fixée forfaitairement ; qu'en l'espèce, pour confirmer la décision des premiers juges ayant alloué à la MGEN la somme de 53 452,44 euros au titre d'un « trouble d'exploitation » et écarter les moyens d'Axa et de la société Sofrapel qui soutenaient que ce montant ne reposait sur aucune justification, l'arrêt retient après avoir requalifié le préjudice en « trouble de jouissance », que « la fermeture du grand bassin, sur la période non contestée du 15 mars 2000 au 7 mai 2001, avait nécessairement causé un préjudice important à la MGEN et des difficultés d'organisation évidentes et qu'il convenait de lui allouer un montant indemnitaire forfaitaire de nature à compenser cette impossibilité matérielle d'utilisation » ; qu'en statuant ainsi, quand les juges ne pouvaient procéder à une évaluation forfaitaire du préjudice allégué, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu que l'indemnisation était réclamée par la MGEN en raison de l'indisponibilité, pendant une certaine période, du bassin sinistré et qu'un tel préjudice correspondait non pas à une perte d'exploitation mais à un trouble de jouissance, la cour d'appel, qui n'a pas modifié l'objet du litige mais a restitué leur exacte qualification aux faits sans s'arrêter à la définition qu'en avait donné la victime a pu, sans violer le principe de la contradiction, fixer l'indemnisation à une somme permettant de réparer intégralement le préjudice subi et n'ayant pas un caractère forfaitaire ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Axa France IARD aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Axa France IARD à payer la somme de 3 000 euros à la MGEN ; rejette les demandes de la société Axa France IARD et de la société Sofrapel ;


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