mardi 1 mars 2022

Garantie de paiement (art. 1799-1, c. civ.), référé-provision et contestation sérieuse

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

VB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 février 2022




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 176 F-D

Pourvoi n° S 20-22.681




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 FÉVRIER 2022

La société Cardinal Edifice, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° S 20-22.681 contre l'arrêt rendu le 12 novembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Foncière FT Marseille, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société Poissonnier Ferran et associés, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Cardinal Edifice, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Foncière FT Marseille, après débats en l'audience publique du 11 janvier 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Cardinal édifice (la société Cardinal) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Poissonnier Ferran et associés.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 12 novembre 2020), rendu en référé, la société Foncière FT Marseille (la société Foncière) a confié à la société Cardinal des travaux de gros oeuvre en vue de la construction et de la réhabilitation de bâtiments à usage de logements, bureaux et commerces.

3. Les parties ont, en cours de chantier, conclu une transaction, prévoyant notamment un nouveau planning et la fourniture d'une garantie de paiement par le maître d'ouvrage sous la forme d'un cautionnement solidaire de sa maison mère.

4. A la suite d'impayés, la société Cardinal a assigné la société Foncière en référé aux fins de provisions et de délivrance de la garantie de paiement prévue à l'article 1799-1 du code civil.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société Cardinal fait grief l'arrêt de rejeter sa demande de provision, alors :

« 1°/ que des situations de travaux impayées peuvent donner lieu à provision dès lors qu'elles ont été établies conformément aux stipulations contractuelles, peu important qu'elles correspondent à des acomptes et puissent donner lieu à redressement ultérieur en cas d'erreurs ou d'inexactitudes ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les situations de travaux sur le fondement desquelles la société Cardinal Edifice sollicitait une provision avaient été visées par le maître d'oeuvre et que le Cahier des clauses administratives particulières n'exigeait pas la signature du maître d'ouvrage ; qu'en retenant, pour débouter la société Cardinal Edifice de sa demande de provision, que les situations de travaux « ne concernent que des acomptes et (?) peuvent être corrigés en cas d'erreurs ou d'inexactitudes », la cour d'appel a violé l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge des référés peut accorder une provision au créancier dans les cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; que si le défendeur invoque l'existence d'une compensation entre la créance sur le fondement de laquelle la provision est sollicitée et une créance dont il se prétend titulaire, le juge ne peut rejeter la demande de provision sur le fondement de ce moyen de compensation qu'en présence d'éléments de nature à justifier de la réalité de la créance invoquée par le défendeur ; qu'en l'espèce, pour débouter la société Cardinal Édifice de sa demande de provision, la cour d'appel a énoncé que les situations de travaux validées par le maître d'oeuvre et le maître de l'ouvrage faisaient état d'un solde créditeur d'environ 3 millions d'euros au profit du maître d'ouvrage, incluant les pénalités de retard, la réparation des préjudices découlant du retard, le coût des réfections et la retenue de garantie de 5% ; qu'en se déterminant ainsi, sans faire référence au moindre élément de nature à justifier de la réalité de ces créances mentionnées sur les situations de travaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile ;

3°/ que devant la cour d'appel, la société Cardinal Édifice faisait valoir, pièces à l'appui, que la société Foncière FT Marseille avait de sa seule initiative, et après que les situations de travaux avaient été signées par le maître d'oeuvre, opéré des ajouts sur les situations de travaux pour y inclure des pénalités et dommages-intérêts ; que, pour juger que la créance de la société Cardinal Édifice au titre des situations de travaux impayées, la cour d'appel a énoncé que « les situations de travaux validées par le maître d'oeuvre et le maître d'ouvrage, incluant les pénalités de retard, la réparation des préjudices découlant du retard, le coût des réfections et la retenue de garantie de 5% » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les créances invoquées par le maître d'ouvrage avaient été ajoutées de sa seule initiative sur les situations de travaux, après que les situations établies par la société Cardinal Édifice avaient été visées par le maître d'oeuvre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Par motifs propres et adoptés, la cour d'appel, qui n'a pas retenu que des situations de travaux ne pouvaient, par principe, donner lieu à provision, a relevé qu'un protocole avait été signé entre les parties par lequel le maître d'ouvrage renonçait à sa réclamation au titre des retards et acceptait un nouveau planning avec application des pénalités de retard sur le montant global et forfaitaire du marché en cas de non-respect.

7. Ayant retenu que le maître d'ouvrage imputait au constructeur diverses sommes en raison du retard du chantier et que la demande de provision de la société Cardinal nécessitait d'interpréter le protocole et de se prononcer sur les responsabilités encourues du fait de son non-respect, elle a pu en déduire que cette demande se heurtait à une contestation sérieuse et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. La société Cardinal fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de remise sous astreinte de la garantie de paiement prévue par l'article 1799-1 du code civil, alors :

« 1°/ que l'article 6 du protocole d'accord conclu par les sociétés Cardinal Édifice et Foncière FT Marseille en avril 2019 stipulait que « eu égard à la signature du présent protocole et au présent engagement de caution [de la société Financière Immobilière Bordelaise], l'entreprise Cardinal Édifice renonce irrévocablement à solliciter la production de la garantie de paiement découlant de l'article 1799-1 du code civil s'estimant parfaitement garantie », mais que, « si malgré cet engagement clair l'entreprise Cardinal Édifice exigeait la production de la garantie de paiement, la présente caution solidaire de la société Financière Immobilière Bordelaise serait de plein droit sans autre formalité considérée nulle et non avenue et le coût de la mise en place de la caution par la SNC Foncière FT Marseille sera supporté par l'entreprise Cardinal Édifice » ; que le protocole permettait ainsi à la société Cardinal Édifice d'exiger la garantie de paiement de l'article 1799-1 du code civil en dépit de la caution donnée par la société Financière Immobilière Bordelaise sans aucune condition, l'usage de cette possibilité rendant simplement nul l'engagement de caution de la société Financière Immobilière Bordelaise et faisant supporter à Cardinal Édifice le coût de la mise en place de la garantie ; qu'en énonçant que la demande de la société Cardinal Édifice tendant à la remise d'une garantie conforme à l'article 1799-1 du code civil nécessitait de « déterminer si la société Cardinal Édifice est créancière de la société Foncière FT Marseille et si cette créance est insuffisamment garantie par la caution de la maison mère et doit être garantie par une nouvelle caution », la cour d'appel, qui a ajouté au protocole, a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134, devenu 1103 du code civil, ensemble l'article 873 du code de procédure civile ;

2°/ que la garantie prévue par l'article 1799-1 code civil peut être réclamée dès la signature du marché et la compensation future invoquée par le maître d'ouvrage entre les sommes restant dues et une créance dont il serait titulaire à l'égard de l'entrepreneur ne le dispense pas de fournir la garantie légale ; que pour rejeter la demande de la société Cardinal Edifice tendant à l'obtention de la garantie de paiement prévue par l'article 1799-1 du code civil, la cour d'appel a énoncé que la demande de la société Cardinal Edifice nécessitait de « déterminer si la société Cardinal Edifice est créancière de la société Foncière FT Marseille et si cette créance est insuffisamment garantie par la caution de la maison mère et doit être garantie par une nouvelle caution » ; qu'en se déterminant ainsi, cependant que la garantie de paiement était en tout état de cause due dès la signature du marché, et indépendamment de toute compensation qui pourrait opérer par la suite, la cour d'appel a violé l'article 1799-1 du code civil, ensemble l'article 873 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. La cour d'appel n'a pas retenu que le protocole transactionnel interdisait à l'entrepreneur de réclamer une caution bancaire, mais que l'interprétation de cet acte relevait du juge du fond.

10. Après avoir relevé qu'une garantie de paiement avait été fournie à l'entrepreneur aux termes du protocole signé entre les parties, sous la forme d'un cautionnement de la société mère du maître d'ouvrage, elle a retenu que la demande de fourniture d'une garantie bancaire nécessitait d'interpréter ce protocole et de déterminer si la garantie fournie était suffisante.

11. La garantie de paiement pouvant, aux termes de l'article 1799-1 alinéa 3 du code civil, résulter d'une stipulation particulière, elle a pu, par ces seuls motifs, abstraction faite des motifs surabondants, retenir que la demande se heurtait à une contestation sérieuse.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Cardinal édifice aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cardinal édifice et la condamne à payer à la société Foncière FT Marseille la somme de 3 000 euros ;

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.