mardi 8 mars 2022

Charge procédurale nouvelle pour les parties à la procédure d'appel et procès équitable

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 février 2022




Annulation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 150 F-D

Pourvoi n° J 20-19.753


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 FÉVRIER 2022

M. [E] [D], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 20-19.753 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2020 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 1), dans le litige l'opposant à la société Allianz Iard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [D], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz Iard, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 décembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 1er juillet 2020), à la suite d'un accident de la circulation dont a été victime M. [D], qui bénéficiait d'un contrat d'assurance avec la société AGF, celle-ci a été tenue d'indemniser son assuré au titre de son préjudice corporel.

2. M. [D] a assigné la société Allianz Iard, venant aux droits de la société AGF, devant un tribunal de grande instance, en paiement de diverses sommes, dont une, en principal, assortie des intérêts légaux capitalisés depuis le 29 avril 2015, au titre de la garantie corporelle.

3. Par jugement en date du 4 septembre 2018, M. [D], partiellement débouté de ses demandes, a relevé appel du jugement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

4. M. [D] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bastia le 4 septembre 2018, alors « qu'en toute hypothèse, si la Cour de cassation vient de décider, par un arrêt du 17 septembre 2020 (pourvoi n° 18-23.626), que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de l'arrêt qu'elle a rendu le 17 septembre 2020, aboutit à priver l'appelant du droit à un procès équitable ; qu'en se prononçant de la sorte, la cour d'appel a violé les articles 542 et 954 du code de procédure civile, ainsi que l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

5. Il résulte des deux premiers de ces textes que l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue, à l'article 914 du code de procédure civile, de relever d'office la
caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies.

6. Cette règle, qui instaure une charge procédurale nouvelle pour les parties
à la procédure d'appel ayant été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié) pour la première fois dans un arrêt publié, son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

7. Pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que, dans le dispositif de ses écritures, énonçant les prétentions sur lesquelles la cour doit statuer en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, M. [D] ne forme aucune demande de réformation, et que la cour d'appel ne peut statuer sur une réformation, sauf à statuer ultra petita. Il en déduit qu'en l'absence de demande de réformation formée par l'appelant et d'élément nouveau ou de moyens susceptibles d'être relevés d'office par la cour, le jugement, tel que déféré par l'appel, ne peut qu'être confirmé.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 24 septembre 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver M. [D] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Portée et conséquence de l'annulation

9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, l'annulation de l'arrêt en ce qu'il a confirmé le jugement entraîne celle du chef du dispositif rejetant la demande de M. [D] tendant à dire que la somme due s'élevait à 113 360 euros, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er juillet 2020 entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Condamne la société Allianz Iard aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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