mercredi 16 mars 2022

Défaut de motivation et manquement du juge au principe de contradiction...

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 mars 2022




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 237 F-D

Pourvoi n° V 19-26.314




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 MARS 2022

M. [E] [T] [K], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 19-26.314 contre l'arrêt rendu le 24 octobre 2019 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l'opposant à la Société générale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [T] [K], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société générale, après débats en l'audience publique du 18 janvier 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 octobre 2019), la Société générale (la banque) a fait pratiquer, sur le fondement d'un acte authentique de prêt en date du 26 juin 2007, deux saisies-attributions à l'encontre de M. [T] [K] qui a saisi un juge de l'exécution d'une contestation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. M. [T] [K] fait grief à l'arrêt de le débouter de l'ensemble de ses contestations et demandes, de dire que les saisies-attributions pratiquées les 4 février 2015 entre les mains du Crédit mutuel du Mantois et le 14 décembre 2016 entre les mains de la SCP [V], Declety, [M], [V] et [B] à son préjudice et à la requête de la banque produiraient leur plein et entier effet, et de le débouter de sa demande indemnitaire, alors « que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que, pour débouter Monsieur [T] [K] de sa demande tendant à voir déclarer nulles et de nul effet les mesures d'exécution litigieuses, la cour d'appel énonce qu'à défaut de preuve de l'affectation par le débiteur de son paiement à l'une des dettes contractées à l'égard de la banque, cette dernière devait procéder à son affectation conformément à la loi, en privilégiant le prêt du 14 avril 2006 qui était échu ; qu'en statuant ainsi, sans examiner le relevé de compte établi le 27 novembre 2014 par le notaire, à l'issue de la vente du bien de Mantes-la-Jolie acquis au moyen du prêt souscrit le 26 juin 2007, qui mentionnait expressément le remboursement à la banque de la somme de 150.689,79 € au titre du solde du prêt souscrit pour l'acquisition de ce bien, ainsi que les frais de mainlevée d'hypothèque consécutifs au paiement, et dont Monsieur [T] [K] se prévalait dans ses conclusions, pour établir l'affectation de ce paiement au remboursement du bien acquis au moyen du prêt du 26 juin 2007, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

3. Selon ce texte, le jugement doit être motivé.

4. Pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt relève d'abord que, le 14 avril 2006, la banque a consenti à M. [T] [K] et Mme [Z], un prêt dit « relais », d'un montant de 150 000 euros, dans l'attente de la vente d'une maison située [Adresse 2], afin de faire l'acquisition d'un bien situé dans un autre département, ce prêt stipulant au bénéfice du prêteur une garantie hypothécaire dont il n'est toutefois pas indiqué qu'elle aurait fait l'objet d'une inscription et que, le 26 juin 2007, la banque a consenti à M. [T] [K] un second emprunt, à son unique bénéfice, pour financer l'acquisition et les travaux d'un appartement situé [Adresse 4], garanti par un privilège du prêteur de deniers et une hypothèque conventionnelle complémentaire sur le bien acquis.

5. L'arrêt retient, ensuite, que l'affectation d'un paiement, par le débiteur de plusieurs dettes, doit se faire de manière expresse ou à défaut, non équivoque, que la lettre-chèque adressée par le notaire, mandataire de M. [T] [K], le 28 novembre 2007 ne comporte aucune autre mention que « remboursement de prêt » et ne peut dès lors constituer une affectation expresse au sens du texte et que les éléments antérieurs comportent par eux-mêmes trop de contradictions pour permettre de qualifier de « non équivoque » la volonté exprimée par le débiteur à l'égard de son créancier.

6. En se déterminant ainsi, sans analyser, même de façon sommaire, le relevé de compte établi, le 27 novembre 2014, par le notaire et produit par M. [T] [K], la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. M. [T] [K] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que, pour débouter Monsieur [T] [K] de ses demandes, la cour d'appel énonce qu'à défaut de preuve de l'affectation par le débiteur de son paiement à l'une des dettes contractées à l'égard de la banque, cette dernière devait procéder à son affectation conformément à la loi, en privilégiant le prêt du 14 avril 2006 qui était échu ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que le prêt de 2006 aurait été échu à la date du paiement litigieux, pour en déduire que le paiement effectué par Monsieur [T] [K] devait être imputé en priorité au remboursement de ce prêt, sans inviter les parties à présenter leurs observations préalables sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

8. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

9. Pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt retient qu'à défaut de preuve de l'affectation par le débiteur de son paiement à l'une des dettes contractées à l'égard de la banque, cette dernière devait procéder à son affectation conformément à la loi, qu'à la date du paiement, seul le prêt relais consenti le 14 avril 2006 pouvait être qualifié, de par sa nature, comme échu, le second emprunt étant en cours d'exécution et les échéances étant régulièrement versées et qu'en conséquence, c'est légitimement que la banque a procédé à l'affectation du paiement au solde du prêt consenti à M. [T] [K] et Mme [Z], celui-ci ne pouvant se prévaloir de l'extinction de sa dette à l'égard de la banque fondée sur l'acte authentique régularisé le 26 juin 2007.

10. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d'office et tiré de l'article 1276 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt confirmant le jugement entrepris entraîne la cassation du chef de dispositif déboutant M. [T] [K] de sa demande indemnitaire qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la Société générale aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société générale et la condamne à payer à M. [T] [K] la somme de 3 000 euros ;

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