Note Tréard, D. 2017, p. 1076.
Cour de cassation
chambre commerciale
Audience publique du
mercredi 25 janvier 2017
N° de pourvoi:
15-23.547
Publié au bulletin
Rejet
M. Louvel (premier président), président
SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, SCP Monod, Colin et Stoclet, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er juillet
2015), que le ministre chargé de l'économie, reprochant à la société
Galec-groupement d'achats des centres Leclerc (le Galec) d'avoir soumis
des fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif à
raison de certaines clauses du contrat-cadre ayant régi leurs relations
en 2009 et 2010, relatives au versement d'une ristourne de fin d'année
(la RFA) au bénéfice du distributeur, l'a assignée en annulation de ces
clauses, répétition de l'indu et paiement d'une amende civile sur le
fondement de l'article L. 442-6, I, 2° et III du code de commerce ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le Galec fait grief à l'arrêt de retenir un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,
de prononcer l'annulation des clauses prévoyant ces obligations dans les
accords GALEC conclus en 2009 et 2010 avec les quarante-six
fournisseurs visés dans la liste jointe à l'arrêt, de le condamner à
restituer les sommes perçues à ce titre et de prononcer à son encontre
une amende civile alors, selon le moyen :
1°/ que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 2°
du code de commerce ne sanctionnent que le fait de soumettre un
partenaire commercial à une « obligation » créant un déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties ; que le simple
fait d'obtenir une réduction de prix de la part de son cocontractant ne
soumet ce dernier à aucune « obligation » au sens de ces dispositions ;
qu'en considérant, pour condamner le Galec, que la RFA Galec, qui
constitue une simple réduction du prix fournisseur, caractérisait une
telle « obligation », la cour d'appel a violé, par fausse application,
l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
2°/ qu'il résulte de la décision n° 2010-85 QPC du 13
janvier 2011 du Conseil constitutionnel que l'incrimination prévue à
l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce n'est conforme au principe
de légalité des délits et des peines que dans la mesure où la notion de
« déséquilibre significatif » renvoie à la notion, suffisamment définie
par la jurisprudence, qui figure à l'article L. 132-1 du code de la
consommation ; qu'en vertu de cet article, l'appréciation du «
déséquilibre significatif » ne peut pas porter sur l'adéquation du prix
au bien vendu ; qu'ainsi, le « déséquilibre significatif » au sens de
l'article précité du code de commerce ne peut jamais résulter de
l'inadéquation du prix au bien vendu ; qu'en jugeant pourtant que la loi
avait entendu permettre un contrôle par l'administration du prix
négocié par comparaison avec le tarif fournisseur, la cour d'appel a
violé, par fausse application, l'article L. 442-6, I, 2° du code de
commerce ;
3°/ que, si l'article L. 442-6, I, 2° du code de
commerce devait être interprété comme permettant de sanctionner le fait
d'obtenir une simple réduction de prix, l'article L. 442-6, I, 4° du
code de commerce, en ce qu'il sanctionne le fait d'obtenir, sous la
menace d'une rupture brutale des relations commerciales, des conditions
manifestement abusives concernant les prix, serait privé de tout effet
utile ; qu'il en résulte nécessairement que le législateur n'a pas
entendu permettre un contrôle par l'administration du prix négocié par
comparaison avec le tarif fournisseur ; qu'en retenant le contraire, la
cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que, dans les rapports
noués entre un fournisseur et un distributeur, le déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties s'apprécie au
regard de la convention écrite prévue par l'article L. 441-7 du code de
commerce, laquelle précise les obligations auxquelles se sont engagées
les parties et fixe, notamment, les conditions de l'opération de vente
des produits ou des prestations de services, comprenant les réductions
de prix, telles qu'elles résultent de la négociation commerciale qui
s'opère dans le respect de l'article L. 441-6 de ce code ; qu'ayant
constaté que l'annexe 2 des contrats-cadres stipulait que la ristourne
litigieuse était prévue au titre des conditions de l'opération de vente,
la cour d'appel en a justement déduit que les clauses litigieuses
relevaient de l'article L. 442-6, I, 2° du même code ;
Et attendu, en deuxième lieu, que la similitude des
notions de déséquilibre significatif prévues aux articles L. 132-1,
devenu L. 212-1, du code de la consommation et L. 442-6, I, 2° du code
de commerce, relevée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°
2010-85 QPC du 13 janvier 2011, n'exclut pas qu'il puisse exister entre
elles des différences de régime tenant aux objectifs poursuivis par le
législateur dans chacun de ces domaines, en particulier quant à la
catégorie des personnes qu'il a entendu protéger et à la nature des
contrats concernés ; qu'ainsi, l'article L. 442-6, I, 2° précité, qui
figure dans le Livre quatrième du code de commerce relatif à la liberté
des prix et de la concurrence, et au Chapitre II du Titre IV, dédié aux
pratiques restrictives de concurrence, n'exclut pas, contrairement à
l'article L. 212-1 du code de la consommation, que le déséquilibre
significatif puisse résulter d'une inadéquation du prix au bien vendu ;
qu'en outre, la cour d'appel a exactement retenu que la loi du 4 août
2008, en exigeant une convention écrite qui indique le barème de prix
tel qu'il a été préalablement communiqué par le fournisseur, avec ses
conditions générales de vente, a entendu permettre une comparaison entre
le prix arrêté par les parties et le tarif initialement proposé par le
fournisseur ; qu'il suit de là que l'article L. 442-6, I, 2° du code de
commerce autorise un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci
ne résulte pas d'une libre négociation et caractérise un déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que le Galec fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que la loi LME du 4 août 2008 a instauré le
principe de libre négociabilité des tarifs et supprimé l'obligation de
justifier toute réduction du prix fournisseur par une contrepartie ; que
si l'article L. 441-7 du code de commerce dispose que la convention
écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur indique les
obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le
prix à l'issue de la négociation commerciale et qu'elle fixe, notamment,
les conditions de l'opérations de vente, y compris les réductions de
prix, il n'en résulte pas pour autant que toute réduction de prix ne
puisse intervenir qu'en contrepartie d'une obligation consentie par
l'acheteur ; qu'en relevant pourtant, pour juger que la RFA Galec créait
un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties
aux contrats-cadres, que la loi LME n'avait pas supprimé la nécessité
de contrepartie, que la réduction du prix accordée par le fournisseur
devait avoir pour cause l'obligation prise par le distributeur à l'égard
du fournisseur et qu'en l'espèce, la RFA Galec n'était compensée par
aucune obligation réelle, la cour d'appel a violé les articles L. 441-6,
L. 441-7 et L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
2°/ qu'en tout état de cause, à supposer que les
dispositions de l'article L. 441-7 du code de commerce impliquent
l'exigence d'une contrepartie à toute réduction du prix « fournisseur »,
l'éventuelle méconnaissance de cette exigence ne conduit pas
nécessairement à un « déséquilibre significatif dans les droits et
obligations des parties » au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du code
de commerce ; qu'en se bornant à relever, pour juger que la RFA Galec
créait un tel déséquilibre, que cette remise était dépourvue de
contrepartie réelle et méconnaissait donc les dispositions de l'article
L. 441-7 du code de commerce, la cour d'appel a privé sa décision de
base légale au regard des articles L. 441-7 et L. 442-6, I, 2° du code
de commerce ;
3°/ que la caractérisation de l'infraction prévue à
l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce suppose, tout d'abord, que
le juge ait mis en balance les droits et obligations des parties au
contrat, en les appréciant de manière concrète, que l'obligation imposée
au cocontractant ait créé un « déséquilibre » dans ces droits et
obligations et, enfin, que ce déséquilibre soit « significatif » ; qu'à
supposer que le juge puisse, sur le fondement de l'article L. 442-6, I,
2° du code de commerce, contrôler l'adéquation du prix au produit vendu,
il lui appartiendrait alors d'évaluer le juste prix du produit et de
rechercher si le tarif obtenu à la suite de la réduction du prix
s'écarte significativement de ce juste prix ; qu'en l'espèce, la cour
d'appel n'a procédé à aucun examen, même sommaire, des produits en cause
ou des différents taux de remises consentis ; qu'en se bornant à
relever que la RFA Galec créait un déséquilibre significatif dans les
droits et obligations des parties, sans rechercher si les tarifs obtenus
à la suite de la réduction du prix s'écartaient significativement du
juste prix des produits, elle a privé sa décision de base légale au
regard de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt rappelle que
la loi du 4 août 2008, qui a posé le principe de la libre négociabilité
des conditions de vente, et notamment des tarifs, a maintenu le
principe selon lequel les conditions générales de vente constituent le
socle de la négociation commerciale ; qu'il relève que la libre
négociabilité tarifaire se traduit notamment, pour le fournisseur, par
la possibilité, prévue à l'article L. 441-6 du code de commerce, de
convenir avec le distributeur de conditions particulières de vente, mais
que les obligations auxquelles les parties s'engagent en vue de fixer
le prix à l'issue de la négociation commerciale doivent néanmoins être
formalisées dans une convention écrite ; qu'il en déduit que la
formalisation des engagements des parties dans un document unique doit
permettre à l'administration d'exercer un contrôle a posteriori sur la
négociation commerciale et sur les engagements pris par les
cocontractants ; que de ces énonciations et appréciations, la cour
d'appel a déduit à bon droit que le principe de la libre négociabilité
n'est pas sans limite et que l'absence de contrepartie ou de
justification aux obligations prises par les cocontractants, même
lorsque ces obligations n'entrent pas dans la catégorie des services de
coopération commerciale, peut être sanctionnée au titre de l'article L.
442-6, I, 2° du code de commerce, dès lors qu'elle procède d'une
soumission ou tentative de soumission et conduit à un déséquilibre
significatif ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt relève que les
clauses relatives à la RFA, insérées dans les cent dix-huit
contrats-cadres examinés, prévoyaient le paiement de cette ristourne,
soit en contrepartie de la constatation d'un chiffre d'affaires non
chiffré ou d'un chiffre d'affaires inférieur de près de moitié à celui
réalisé l'année précédente et l'année durant laquelle la RFA était due,
soit sans aucune contrepartie et retient que les fournisseurs ont versé
une RFA alors que le distributeur n'avait pris aucune obligation ou
aucune réelle obligation à leur égard ; qu'il relève encore que les
acomptes dus au titre de la RFA étaient calculés sur un chiffre
d'affaires prévisionnel, proche de celui effectivement réalisé et très
supérieur au montant du chiffre d'affaires sur lequel le Galec s'était
engagé envers le fournisseur pour obtenir la réduction du prix et ajoute
que l'article V du contrat-cadre permettait au distributeur d'obtenir
le paiement des acomptes avant que le prix des marchandises ait été
réglé et de bénéficier ainsi d'une avance de trésorerie aux frais du
fournisseur ; qu'il relève enfin que le Galec n'allègue pas que d'autres
stipulations contractuelles permettaient de rééquilibrer la convention ;
qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a
pu retenir que les clauses litigieuses créaient un déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties, au sens de
l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
Et attendu, en dernier lieu, qu'ayant fait ressortir,
par les motifs précités, que le déséquilibre significatif reproché au
Galec ne résultait pas du niveau des prix consentis mais du mécanisme de
mise en oeuvre d'une ristourne de fin d'année, la cour d'appel, qui
n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par la troisième
branche, que ses appréciations rendaient inopérante, a légalement
justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que le Galec fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1°/ qu'il appartient au ministre chargé de l'économie,
agissant sur le fondement de l'article L. 442-6, III du code de commerce
de prouver l'existence de la pratique restrictive de concurrence qu'il
invoque ; que, pour établir l'existence d'une soumission au sens de
l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, la cour d'appel a relevé
que la différence de taux de ristourne appliqué aux fournisseurs n'était
pas la preuve d'une négociation et que le Galec n'offrait pas de
démontrer l'existence de négociations ayant existé avec ses fournisseurs
; qu'en statuant ainsi, elle a inversé la charge de la preuve et violé
l'article 1315 du code civil ;
2°/ que la preuve d'une soumission au sens de l'article
L. 442-6, I, 2° du code de commerce ne peut résulter que d'éléments
démontrant que le distributeur a exercé des pressions auxquelles les
fournisseurs ne pouvaient résister ; qu'en se bornant à relever, pour
considérer que l'existence d'une soumission était établie, que l'annexe 2
des contrats-cadres avait été pré-rédigée par le Galec puis signée par
le fournisseurs sans modification, qu'il existait une contradiction
entre cet annexe et l'article V des contrats-cadres quant au délai de
paiement de la RFA et que le procès-verbal du 30 avril 2009 laissait
penser que le Galec avait cherché à préserver ses marges malgré les
nouvelles dispositions de la loi LME, la cour d'appel, qui a statué par
des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de
l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
Mais attendu qu'après avoir rappelé que la loi du 4
août 2008 a posé le principe de la libre négociabilité des conditions de
vente, tout en maintenant le principe selon lequel les conditions
générales de vente constituent le socle de la négociation commerciale,
l'arrêt constate que la ristourne litigieuse ne figure pas dans les
conditions générales de vente des fournisseurs et qu'elle est prévue
dans l'annexe 2 des contrats-cadres pré-rédigés par le Galec, en 2009 et
2010 ; qu'il relève que les cent dix-huit contrats-cadres et leurs
annexes ont été paraphés et signés par tous les fournisseurs, et ce,
alors même qu'existait une contradiction entre l'article V des
contrats-cadres et l'annexe 2, concernant les délais de paiement de
cette ristourne ; qu'il retient que la différence de taux de ristourne
entre fournisseurs n'est pas la preuve d'une négociation, dès lors que
les différents taux figurent dans l'annexe 2 pré-rédigée par le Galec,
lequel n'offre pas de démontrer que des négociations avec les
fournisseurs auraient eu lieu sur ce point ; qu'il en déduit que la
ristourne a été imposée aux fournisseurs concernés par ces cent dix-huit
contrats, qui ont dû signer les contrats-cadres sans pouvoir les
modifier ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations
souveraines, faisant ressortir que les clauses litigieuses pré-rédigées
par le Galec constituaient une composante intangible de tous les
contrats examinés et n'avaient pu faire l'objet d'aucune négociation
effective, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a
caractérisé la soumission requise par l'article L. 442-6, I, 2° du code
de commerce ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que le Galec fait grief à l'arrêt de le
condamner à verser au Trésor public la somme de 61 288 677,84 euros
correspondant aux sommes ayant été perçues au titre de la RFA, à charge
pour le Trésor public de les restituer aux fournisseurs visés dans la
liste jointe à l'arrêt, alors, selon le moyen, que la partie qui a
indûment perçu des sommes de son cocontractant ne peut être condamnée
qu'à restituer ces sommes au cocontractant lui-même ; qu'aucune
disposition législative ne permet au juge de condamner cette partie à
verser au Trésor public des sommes indûment perçues, quand bien même ce
dernier serait chargé de restituer les sommes au cocontractant ; qu'en
condamnant le Galec à verser au Trésor public des sommes perçues au
titre de la RFA Galec, à charge pour celui-ci de les restituer aux
fournisseurs visés dans la liste jointe à l'arrêt, la cour d'appel a
violé l'article L. 442-6, III du code de commerce ;
Mais attendu que le ministre chargé de l'économie a été
habilité par le législateur à demander à la juridiction saisie, sur le
fondement de l'article L. 442-6, III du code de commerce, la répétition
de l'indu dans le cadre d'une action autonome de protection du
fonctionnement du marché et de la concurrence, à charge pour lui
d'informer les parties au contrat de l'introduction de son action ;
qu'ayant constaté que le ministre avait procédé à cette information et
que la restitution des sommes indûment perçues au titre de la RFA
s'opérerait entre les mains du Trésor public à charge pour ce dernier de
les restituer aux fournisseurs visés dans une liste annexée, la cour
d'appel a fait l'exacte application de l'article L. 442-6, III du code
de commerce ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Galec-groupement d'achats des centres Leclerc aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette
sa demande et la condamne à payer au ministre chargé de l'économie la
somme de 3 000 euros ;