lundi 15 janvier 2024

Limites de la responsabilité du notaire pour défaut de vigilance

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 novembre 2023




Rejet


Mme CHAMPALAUNE, président



Arrêt n° 588 F-D

Pourvoi n° G 22-12.791




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 NOVEMBRE 2023

Mme [X] [K], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 22-12.791 contre l'arrêt rendu le 15 février 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [Y] [W], domicilié [Adresse 1],

2°/ à la société [Y] [W] notaire, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Bruyère, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [K], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [W], de la société [Y] [W] notaire, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Bruyère, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 février 2022), par acte authentique reçu le 12 juillet 2018 par M. [W], notaire (le notaire) exerçant au sein de la société [Y] [W] (la société notariale), Mme [K] a vendu un bien immobilier dont le prix a été payé par la comptabilité du notaire.

2. Mme [K] a demandé qu'une partie du prix soit versée sur deux comptes ouverts dans des banques étrangères.

3. Soutenant que le notaire avait commis des fautes dans l'exécution des ordres de virement, Mme [K] l'a assigné avec la société notariale en responsabilité et indemnisation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [K] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement de dommages et intérêts par le notaire et la société notariale pour manquements à leurs obligations professionnelles, alors :

« 1°/ que le notaire est tenu d'une obligation de prudence et de diligence dans l'exécution des instructions reçues de son client ; qu'à ce titre, lorsqu'après avoir instrumenté un acte authentique de vente, il a été chargé par le vendeur de conserver le prix de vente puis d'exécuter son instruction de transférer partie des fonds sur des comptes bancaires situés à l'étranger, il lui appartient de vérifier que l'identité du titulaire de ces comptes correspond à celle du bénéficiaire désigné par son client ; qu'en décidant le contraire, pour cantonner l'obligation du notaire à la seule vérification de la réalité de l'ordre de paiement émis par son client, la cour d'appel a violé l'article 1240 nouveau du code civil ;

2°/ que toute anomalie de nature à faire naître un doute sur la régularité d'une opération doit donner lieu à vérification complémentaire de la part du notaire ; qu'en affirmant en l'espèce que la demande de l'intermédiaire en financement participatif de ne pas faire figurer le nom des sociétés bénéficiaires sur les ordres de virement n'était pas de nature à faire naître un doute sur la régularité de l'opération, ni à justifier la mise en oeuvre d'aucune mesure de vérification par le notaire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1240 nouveau du code civil. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a relevé, d'une part, que les ordres de virement reçus par le notaire émanaient bien de sa cliente, qui en avait confirmé les mentions, en particulier l'identité des destinataires et les numéros IBAN à libeller sur les ordres de virement, d'autre part, que le notaire avait pris soin d'indiquer tant les numéros IBAN que les dénominations des sociétés destinataires dans les ordres de virement conformément à l'obligation de prudence et de diligence à laquelle il est tenu et qu'aucune usurpation n'avait été décelée par la Caisse des dépôts et consignation.

6. Elle a souverainement retenu que la demande formulée par une bénéficiaire et reprise par Mme [K], concernant un des deux ordres de virements reçus, de faire figurer le seul numéro IBAN et le numéro du contrat, donc à l'exclusion du nom du bénéficiaire, n'était pas à elle seule de nature à faire naître un doute dans l'esprit du notaire sur le caractère frauduleux des virements.

7. Elle en a exactement déduit que le notaire n'avait pas d'obligation de s'informer davantage auprès de sa cliente ni de faire des recherches sur l'identité des destinataires des fonds et la concordance entre le nom du bénéficiaire et le numéro du compte IBAN.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. Mme [K] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le notaire est tenu d'une obligation d'information et de conseil à l'égard de ses clients dans l'exécution de toute mission qui lui est confiée par ces derniers ; qu'en affirmant, pour exclure toute obligation en ce sens, que M. [W] était resté étranger à l'opération de placement d'une partie du prix de vente décidée par Mme [K], tout en constatant que celle-ci lui avait demandé de procéder au transfert des fonds au profit des sociétés bénéficiaires, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1240 nouveau du code civil ;

2°/ que, subsidiairement, en affirmant que M. [W] n'avait pas à informer ni à conseiller Mme [K] sur les risques d'une opération de placement à l'étranger dont sa cliente avait pris l'initiative, sans rechercher, comme il lui était demandé, si M. [W], qui avait reçu mission de transférer les fonds reçus en paiement du prix de la vente instrumentée par ses soins, n'avait pas à tout le moins omis d'avertir sa cliente des risques s'attachant à des virements bancaires réalisés sur des comptes détenus à l'étranger au profit de sociétés dont l'identité n'avait pas été vérifiée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 nouveau du code civil. »

Réponse de la Cour

10. La cour d'appel a relevé que le notaire avait reçu comme seule mission celle d'instrumenter la vente immobilière et qu'il était étranger à l'opération de placement du prix de la vente.

11. Elle a souverainement retenu que la demande formulée par une bénéficiaire et reprise par Mme [K], concernant un des deux ordres de virement reçus, de faire figurer le seul numéro IBAN et le numéro du contrat, donc à l'exclusion du nom du bénéficiaire du virement, n'était pas à elle seule de nature à faire naître un doute dans l'esprit du notaire sur le caractère frauduleux des virements.

12. Elle en a exactement déduit, sans avoir à procéder à la recherche prétendument omise que ses énonciations et constatations rendaient inopérantes, que, en l'absence d'élément de nature à faire soupçonner l'existence de faux, le notaire était tenu d'une simple obligation de prudence et de diligence s'agissant de l'obligation d'exécuter les ordres de virement reçus de sa cliente au titre de la remise du prix de vente.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [K] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [K] et la condamne à payer à M. [W] et à la Selarl [Y] [W] la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C100588

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