lundi 16 novembre 2015

Prêt, devoir de conseil et perte de chance

Voir note Asselain, RGDA 2015, p. 520.

Cour de cassation
chambre commerciale
Audience publique du mardi 22 septembre 2015
N° de pourvoi: 14-14.547
Non publié au bulletin Rejet

Mme Mouillard (président), président
SCP Boullez, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)


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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième, sixième, septième, huitième, neuvième et dixième branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 15 janvier 2014), qu'en vue de financer l'acquisition de biens immobiliers par Mme X..., la société BNP Paribas (la banque) a proposé un montage financier consistant à consentir à la SCI Marcela (la SCI), constituée entre Mme Y... et Mme X..., un prêt immobilier d'un montant de 3 750 000 francs (571 683, 81 euros), remboursable in fine à l'issue d'une période de cent quatre-vingts mois, Mme X... adhérant à un contrat d'assurance groupe sur la vie souscrit par la banque auprès de la société Natio-Vie, aux droits de laquelle est venue la société Cardif Assurance-Vie, en y investissant la somme de 3 000 000 francs (457 347, 05 euros) ; qu'après y avoir souscrit, Mmes X... et Y... et la SCI, invoquant divers manquements de la banque, l'ont assignée en responsabilité ;

Attendu que Mmes X... et Y... et la SCI font grief à l'arrêt de rejeter leur demande alors, selon le moyen :

1°/ que le banquier, souscripteur d'un contrat collectif d'assurance-vie, est tenu envers l'adhérent d'un devoir d'information et de conseil qui se prolonge pendant toute la durée d'exécution du contrat ; qu'en décidant que le défaut de remise de la note d'information prévue par l'article L. 132-5-1 du code des assurances et l'absence de mention des valeurs de rachat au terme des huit premières années, s'ils étaient fautifs, n'engageaient pas la responsabilité de la banque dès lors qu'ils n'avaient pas causé un préjudice certain à Mme X... qui n'avait pas été privée de son droit de rétractation qu'elle avait exercé par courrier recommandé du 25 mars 2010, au lieu de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la responsabilité de la banque était recherchée non seulement en tant que courtier mais aussi de souscripteur du contrat d'assurance-vie, pour avoir privé Mme X... de son droit de rétractation par un manquement à son devoir de conseil, en lui indiquant, à tort, qu'il lui appartenait de l'exercer par un courrier à son intention, et en refusant ensuite de transmettre à la société Natio-Vie, la lettre recommandée avec avis de réception portant exercice du droit de rétractation qu'elle avait reçue de Mme X..., ce qui l'avait privée du droit d'obtenir le remboursement du capital, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-5-1 du code des assurances et l'article 1147 du code civil ;

2°/ qu'est certain le dommage subi par une personne par l'effet de la faute d'un professionnel, alors même que la victime disposerait, contre un tiers, d'une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice ; qu'en reprochant à Mme X... de ne pas avoir agi contre l'assureur, la société Natio-Vie, et qu'en décidant que le défaut de remboursement du capital investi par la société Natio-Vie n'était pas susceptible d'engager la responsabilité de la banque, qui était un personne morale distincte, quand la banque, en sa double qualité de courtier et de souscripteur du contrat d'assurance, avait créé une situation dommageable en trompant Mme X... sur le destinataire de la faculté de rétractation et en refusant de transmettre à la société Natio-Vie, la lettre recommandée avec accusé de réception du 25 mars 2010, ce qui l'avait empêchée d'obtenir le remboursement du capital, la cour d'appel a violé l'article L. 132-5-1 du code des assurances et l'article 1147 du code civil ;

3°/ que le juge doit respecter le principe du contradictoire ; qu'en relevant de sa propre initiative le moyen tiré de ce que le préjudice issu d'un défaut d'information s'analyse en une perte de chance que les parties n'invoquaient pas au soutien de leurs prétentions, la cour d'appel, qui ne les a pas invitées à en débattre, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

4°/ qu'il appartient aux juges du fond de réparer le préjudice futur dès lors qu'il apparaît comme la prolongation directe et certaine d'un état de chose actuel et dont les incidences dommageables sont d'ores et déjà susceptibles d'une évaluation immédiate, au besoin en prononçant une condamnation conditionnelle ; qu'en retenant que les demanderesses ne justifiaient pas d'un préjudice actuel constitué, tant que l'opération financière n'était pas venue à terme, après avoir constaté que le manquement de la banque à son devoir de renseignement et de conseil les avait privées d'une chance et qu'elles avaient déjà perdu un tiers de leur investissement au 19 octobre 2011, quand la perte d'un tiers du capital était d'ores et déjà susceptible d'une évaluation immédiate dont la réparation intégrale justifiait d'ores et déjà de prononcer, au besoin d'office, une condamnation conditionnelle subordonnée à la réalisation d'un événement déterminé consistant dans le dénouement de l'opération financière dont la survenance permettrait d'évaluer le quantum de la chance perdue par Mmes Y... et X... et la SCI dont l'existence était retenue en son principe, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

5°/ que tenu d'évaluer le préjudice dont il constate l'existence en son principe, le juge ne peut refuser de statuer, en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'en refusant d'évaluer le montant du préjudice tant que l'opération n'était pas venue à terme, au prétexte que les demanderesses ne justifiaient pas d'un préjudice actuel constitué, quand la constatation d'un préjudice consistant dans une perte de chance consécutive à un manquement à un devoir d'information et de conseil imposait aux juges du fond d'en évaluer le montant, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil ;

6°/ qu'il appartient au juges du fond de réparer le préjudice futur dès lors qu'il apparaît comme la prolongation directe et certaine d'un état de chose actuel et dont les incidences dommageables sont d'ores et déjà susceptibles d'une évaluation immédiate ; qu'en s'abstenant de rechercher si le préjudice actuel de Mmes Y... et X... et de la SCI n'était pas susceptible d'une évaluation immédiate, dès lors que la valeur de rachat ne représentait plus que 361 582, 68 euros contre un investissement de 457 347 euros au 19 octobre 2011, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

7°/ qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions par lesquelles les demanderesses rappelaient avoir supporté des frais et intérêts inutilement encourus dans le cadre du prêt in fine, ce qui constituait à tout le moins un préjudice d'ores et déjà certain et susceptible d'une évaluation immédiate, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé qu'en sa qualité de courtier et de mandataire de la société Natio-Vie, la banque avait commis une faute en ne remettant pas à Mme X... la note d'information exigée par l'article L. 132-5-1 du code des assurances et en la faisant adhérer à un contrat d'assurance ne précisant pas les valeurs de rachat au terme de chacune des huit premières années en violation du texte précité, l'arrêt relève que Mme X... n'établit pas avoir perdu son droit de rétractation du fait du manquement de la banque, puisqu'elle l'a exercé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 25 mars 2010 et n'a pas agi contre la société d'assurance ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que Mme X... ne justifiait pas de l'existence d'un préjudice résultant des fautes commises par la banque ;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir constaté que la banque avait commis une faute consistant dans un défaut d'information sur le risque encouru par Mme X... et la SCI de ne pas disposer au terme prévu des fonds permettant de rembourser le prêt contracté, l'arrêt retient que les demanderesses, qui étaient déterminées à acquérir des biens immobiliers à donner en location, pourraient invoquer avoir perdu la chance de choisir un mode de financement plus favorable, mais que l'opération financière n'étant pas venue à terme, elles ne peuvent justifier d'un préjudice actuel ; que par ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir l'absence de preuve de l'existence d'un préjudice, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mmes Y... et X... et la SCI Marcela aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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