Conseil d'État
N° 374048
ECLI:FR:CESSR:2014:374048.20140305
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
Mme Natacha Chicot, rapporteur
M. Bertrand Dacosta, rapporteur public
SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT ; SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE ; SCP MONOD, COLIN, STOCLET, avocats
lecture du mercredi 5 mars 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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Texte intégral
Vu 1°, sous le n° 374048, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 et 31 décembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Eiffage TP, dont le siège est 2 rue Hélène Boucher à Neuilly-sur-Marne (93330) ; la société Eiffage TP demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1301216 du 2 décembre 2013 du président du tribunal administratif de Saint-Denis en tant que, sur le fondement de l'article L. 551-13 du code de justice administrative, elle a rejeté sa demande tendant à l'annulation du contrat portant sur le lot n° 2 intitulé " marché n° 3 relatif aux travaux de réalisation du viaduc en mer de 5 400 mètres " du marché relatif au projet de construction de la nouvelle route du littoral ;
2°) statuant en référé, d'annuler le contrat conclu au titre du lot n° 2 ;
3°) de mettre à la charge de la région Réunion le versement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°, sous le n° 374049, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 et 31 décembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Eiffage TP, qui demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1301217 du 2 décembre 2013 du président du tribunal administratif de Saint-Denis en tant que, sur le fondement de l'article L. 551-13 du code de justice administrative, elle a rejeté sa demande tendant à l'annulation du contrat portant sur le lot n° 4 intitulé " marché n° 5-1 relatif aux travaux de réalisation d'une série de digues d'une longueur cumulée de 3 400 mètres " du marché relatif au projet de construction de la nouvelle route du littoral ;
2°) statuant en référé, d'annuler le contrat conclu au titre du lot n° 4 ;
3°) de mettre à la charge de la région Réunion le versement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 février 2014, présentée pour la société Eiffage TP, sous les pourvois nos 374048 et 374049 ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 février 2014, présentée pour la région Réunion, sous les pourvois nos 374048 et 374049 ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 février 2014, présentée pour la société GTOI, sous le pourvoi n° 374049 ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Natacha Chicot, Auditeur,
- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de la société Eiffage TP, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la région Réunion, à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat des sociétés Vinci construction GP, Bouygues TP, Dodin Campenon Bernard et Demathieu et Bard, et à Me Le Prado, avocat de la société Les grands travaux de l'Océan indien (GTOI) ;
1. Considérant que les pourvois visés ci-dessus présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat " ; qu'aux termes de l'article L. 551-13 du même code relatif au référé contractuel : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers soumis au juge des référés que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 13 décembre 2012, la région Réunion a lancé plusieurs appels d'offres portant sur la réalisation de la nouvelle " route du littoral " ; que la société Eiffage TP a présenté des offres pour les lots n° 2 et n° 4 ; qu'informée de l'intention de la région Réunion d'attribuer ces deux lots à une entreprise concurrente, la société Eiffage TP a, par deux requêtes enregistrées le 25 octobre 2013, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis de deux demandes tendant, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, à l'annulation, respectivement, de la procédure de passation du marché relatif au lot n° 2 et de la procédure de passation du marché relatif au lot n° 4 ; qu'après avoir appris, au cours de l'instruction, que les deux marchés avaient été signés par la région Réunion le 28 octobre 2013, la société Eiffage TP a demandé au juge des référés d'annuler les contrats correspondants sur le fondement de l'article L. 551-13 du code de justice administrative ; que, par deux ordonnances du 2 décembre 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis, après avoir constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les demandes présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a rejeté comme irrecevables les conclusions de la société Eiffage TP présentées sur le fondement de l'article L. 551-13 du même code ; que la société Eiffage TP se pourvoit en cassation contre ces deux ordonnances en tant qu'elles rejettent ces dernières conclusions ;
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée par le pourvoi n° 374049 :
4. Considérant que le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis ayant rejeté le référé contractuel de la société Eiffage TP comme irrecevable, la circonstance qu'il aurait omis d'analyser un moyen tiré de l'illégalité du motif de rejet de l'offre de la société, n'est, en tout état de cause, pas susceptible d'entacher son ordonnance d'irrégularité ;
Sur le bien-fondé des ordonnances attaquées :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-14 du code de justice administrative, le recours en référé contractuel " n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article L. 551-1 ou à l'article L. 551-5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours " ; que l'article L. 551-4 du même code dispose que : " Le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle " ; qu'enfin, l'article R. 551-1 du même code dispose que : " Le représentant de l'Etat ou l'auteur du recours est tenu de notifier son recours au pouvoir adjudicateur. / Cette notification doit être faite en même temps que le dépôt du recours et selon les mêmes modalités. / Elle est réputée accomplie à la date de sa réception par le pouvoir adjudicateur " ;
6. Considérant, en premier lieu, que les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 551-14 du code de justice administrative n'ont pas pour effet de rendre irrecevable un recours contractuel introduit par un concurrent évincé qui aurait antérieurement présenté un recours précontractuel alors qu'il était dans l'ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché, par suite d'un manquement du pouvoir adjudicateur au respect des dispositions de l'article 80 du code des marchés publics, qui prévoient notamment l'obligation de notifier aux candidats le rejet de leurs offres ainsi que les motifs de ce rejet ; que la société Eiffage TP soutenait, devant le juge du référé contractuel, que le délai de onze jours prévu par cet article 80 du code des marchés publics n'avait pas couru, faute d'une notification suffisante des motifs de rejet de son offre, et que, par suite, elle restait recevable à former des référés contractuels, malgré ses référés précontractuels ;
7. Considérant, toutefois, que, contrairement à ce que soutient la société Eiffage TP, le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la société avait été informée des motifs financiers et techniques du rejet de son offre et a jugé, sans entacher sur ce point ses ordonnances d'insuffisance de motivation, que les dispositions de l'article 80 du code des marchés publics n'avaient pas été méconnues ;
8. Considérant, en second lieu, qu'il résulte des dispositions citées ci-dessus des articles L. 551-4 et R. 551-1 du code de justice administrative qu'il appartient au pouvoir adjudicateur, lorsqu'est introduit un recours en référé précontractuel dirigé contre la procédure de passation d'un contrat, de suspendre la signature de ce contrat à compter, soit de la communication de ce recours par le greffe du tribunal administratif, soit de sa notification par le représentant de l'Etat ou l'auteur du recours agissant conformément aux dispositions de l'article R. 551-1 du code de justice administrative ; qu'en vertu des dispositions de l'article L. 551-14 du même code, la méconnaissance de cette obligation de suspension par le pouvoir adjudicateur ouvre la voie du recours contractuel au demandeur qui avait fait usage du référé précontractuel ;
9. Considérant que, pour rejeter comme irrecevables les référés contractuels de la société Eiffage TP, le juge des référés a relevé qu'il ne résultait pas de l'instruction que la région ait eu effectivement connaissance de l'existence de référés précontractuels de la société ; qu'en recherchant ainsi si, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui était soumise, le pouvoir adjudicateur devait être regardé comme ayant eu connaissance des référés précontractuels de la société, sans se borner à vérifier si ceux-ci avait été communiqués par le greffe du tribunal administratif ou notifiés au pouvoir adjudicateur dans les conditions prévues par l'article R. 551-1 du code de justice administrative, le juge des référés a entaché les ordonnances attaquées d'une erreur de droit ;
10. Considérant, cependant, qu'il ressort des énonciations des ordonnances attaquées qu'à la date du 28 octobre 2013 à laquelle la région Réunion a signé les marchés des lots n° 1 et n° 4, les recours en référé précontractuel introduits le 25 octobre 2013 par la société Eiffage TP ne lui avaient été ni communiqués par le greffe du tribunal administratif, ni notifiés par la société Eiffage TP conformément aux dispositions de l'article R. 551-1 du code de justice administrative et que la région Réunion ne pouvait, par suite, être regardée comme ayant, en signant ces contrats, méconnu l'obligation qui lui incombait en vertu des dispositions de l'article L. 551-4 du code de justice administrative ; que ce motif, dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif erroné en droit retenu par les ordonnances attaquées, dont il justifie le dispositif ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 10 ci-dessus que les moyens tirés de ce que le juge des référés aurait dénaturé les pièces des dossiers en jugeant que la région Réunion ignorait l'existence des référés précontractuels, de ce qu'il aurait entaché son raisonnement d'une contradiction, ou de ce qu'il aurait commis une erreur de droit en se fondant sur l'ignorance, par la région Réunion, du contenu des recours en référé précontractuel, doivent être écartés comme inopérants ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les pourvois de la société Eiffage TP ne peuvent qu'être rejetés ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la région Réunion, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que demande la société Eiffage TP au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstance de l'espèce, de mettre à la charge de la société Eiffage TP, au titre des mêmes dispositions, la somme globale de 3 000 euros à verser aux sociétés Vinci construction GP, Bouygues TP, Dodin Campenon Bernard et Demathieu et Bard, la somme de 3 000 euros à verser à la société Les grands travaux de l'Océan indien (GTOI) et la somme de 3 000 euros à verser à la région Réunion ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de la société Eiffage TP sont rejetés.
Article 2 : La société Eiffage TP versera la somme globale de 3 000 euros aux sociétés Vinci construction GP, Bouygues TP, Dodin Campenon Bernard et Demathieu et Bard, la somme de 3 000 euros à la société Les grands travaux de l'Océan indien (GTOI) et la somme de 3 000 euros à la région Réunion au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Eiffage TP, à la région Réunion ainsi qu'aux sociétés Vinci construction GP, Bouygues TP, Dodin Campenon Bernard, Demathieu et Bard et Les grands travaux de l'Océan indien (GTOI).
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Analyse
Abstrats : 39-08-015-01 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES. PROCÉDURES D'URGENCE. - NON RESPECT DE LA SUSPENSION PAR LE POUVOIR ADJUDICATEUR (ART. L. 551-14 DU CJA) - RECEVABILITÉ DU RÉFÉRÉ CONTRACTUEL FORMÉ ULTÉRIEUREMENT PAR LE DEMANDEUR - EXCEPTION - MÉCONNAISSANCE DE L'OBLIGATION DE SUSPENSION DUE À L'IGNORANCE DANS LAQUELLE LE POUVOIR ADJUDICATEUR ÉTAIT DE L'EXISTENCE D'UN RÉFÉRÉ PRÉCONTRACTUEL - APPRÉCIATION PAR LE JUGE DE CETTE IGNORANCE - MODALITÉS [RJ1].
39-08-015-02 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES. PROCÉDURES D'URGENCE. - RÉFÉRÉ CONTRACTUEL FORMÉ PAR UN DEMANDEUR AYANT FAIT USAGE DU RÉFÉRÉ PRÉCONTRACTUEL - HYPOTHÈSE DANS LAQUELLE LE POUVOIR ADJUDICATEUR N'A PAS RESPECTÉ LA SUSPENSION (ART. L. 551-14 DU CJA) - VOIE OUVERTE, SAUF LORSQUE LA MÉCONNAISSANCE DE CETTE OBLIGATION DE SUSPENSION EST DUE À L'IGNORANCE DANS LAQUELLE LE POUVOIR ADJUDICATEUR ÉTAIT DE L'EXISTENCE D'UN RÉFÉRÉ PRÉCONTRACTUEL - APPRÉCIATION PAR LE JUGE DE CETTE IGNORANCE - MODALITÉS [RJ1].
Résumé : 39-08-015-01 Référé contractuel formé par un demandeur ayant fait usage du référé précontractuel dans une hypothèse où le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté l'obligation de suspendre la signature du contrat.,,,Pour apprécier si le pouvoir adjudicateur était dans l'ignorance de l'existence d'un référé précontractuel, le juge du référé contractuel ne doit pas rechercher si, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui est soumise, le pouvoir adjudicateur doit être regardé comme ayant eu connaissance du référé précontractuel du demandeur, mais doit se borner à vérifier si celui-ci a été communiqué par le greffe du tribunal administratif ou notifié au pouvoir adjudicateur dans les conditions prévues par l'article R. 551-1 du code de justice administrative (CJA).
39-08-015-02 Référé contractuel formé par un demandeur ayant fait usage du référé précontractuel dans une hypothèse où le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté l'obligation de suspendre la signature du contrat.,,,Pour apprécier si le pouvoir adjudicateur était dans l'ignorance de l'existence d'un référé précontractuel, le juge du référé contractuel ne doit pas rechercher si, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui est soumise, le pouvoir adjudicateur doit être regardé comme ayant eu connaissance du référé précontractuel du demandeur, mais doit se borner à vérifier si celui-ci a été communiqué par le greffe du tribunal administratif ou notifié au pouvoir adjudicateur dans les conditions prévues par l'article R. 551-1 du code de justice administrative (CJA).
[RJ1] Cf. CE, 30 septembre 2011, Commune de Maizières-les-Metz, n° 350148, p. 450 ; CE, 1er mars 2012, OPAC du Rhône, n° 355560, T. p. 859.
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mercredi 7 mai 2014
Appréciation de l'ignorance du pouvoir adjudicateur de l'existence d'un référé précontractuel (CE)
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