N° 18NC02354
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre - formation à 3
M. KOLBERT, président
M. Marc WALLERICH, rapporteur
M. LOUIS, rapporteur public
ZINE, avocat
lecture du mardi 18 juin 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :Procédure contentieuse antérieure :
Le département de la Moselle a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner solidairement le cabinet Lott et la société Sibéo Ingénierie, ou à défaut le bureau d'études techniques (BET) Saunier et associés, à lui verser la somme de 88 861,35 euros TTC augmentée des intérêts capitalisés et, à titre subsidiaire, de condamner solidairement le cabinet Lott, le bureau d'études techniques (BET) Saunier et associés et la société Fayat Bâtiment à lui verser cette même somme augmentée des intérêts capitalisés.
Par un jugement n° 1603364 du 6 juillet 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné solidairement les sociétés Jean-Pierre Lott Architecte et Sibéo Ingénierie à verser au département de la Moselle la somme de 88 845,12 euros TTC assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2016 et de leur capitalisation à compter du 14 juin 2017.
Le tribunal a par ailleurs condamné la société Jean-Pierre Lott Architecte et la société Sibéo Ingénierie à se garantir mutuellement à hauteur de 50 % de cette condamnation.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 28 août 2018, le 10 janvier 2019, le 28 janvier 2019 et le 25 février 2019, la société Sibéo Ingénierie, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 6 juillet 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par le département de la Moselle devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
3°) subsidiairement d'infirmer le jugement en tant qu'il a retenu la responsabilité contractuelle des maîtres d'oeuvre ;
4°) à titre plus subsidiaire de rejeter les conclusions d'appel en garantie de la société Jean-Pierre Lott, de rejeter les demandes du département de la Moselle fondées sur la responsabilité décennale, et de condamner la société Fayat Bâtiment à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre ;
5°) à titre infiniment subsidiaire, à ce qu'il soit prononcé un partage de responsabilité entre la société Fayat Bâtiment à hauteur de 95%, la société Jean-Pierre Lott Architecte à hauteur de 2,5% et elle-même à hauteur de 2,5% et par voie de conséquence de condamner la société Fayat Bâtiment et la société Jean-Pierre Lott Architecte à la garantir, à due proportion, de toutes les condamnations prononcées à son encontre ;
6°) en tout état de cause de limiter sa condamnation à la somme de 21 285,81 euros ;
7°) de mettre à la charge du département de la Moselle la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les demandes dirigées à son encontre sont irrecevables dans la mesure où elle n'a pas repris les responsabilités éventuelles de la société Saunier et Associés, qui a fait l'objet d'une liquidation judiciaire, dans le cadre d'un plan de cession de sorte qu'elle ne peut être condamnée au titre de prétendues défaillances de cette société alors, en outre, que la créance alléguée par le département est devenue caduque faute d'avoir été déclarée au passif de la société dans le délai légal de deux mois à compter de la publication au BODACC du jugement déclaratif de liquidation judiciaire et qu'elle n'a pas davantage repris les dettes et responsabilités de la société Saunier et associés dans le cadre de l'avenant n° 3 au marché de maîtrise d'oeuvre ;
- à titre subsidiaire, aucune faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle n'a été commise dès lors que les désordres n'étaient pas apparents, que la réception définitive des travaux prononcée met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et le maître d'oeuvre en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage, que des essais ont bien eu lieu le 15 janvier 2013 peu de temps avant la réception et qu'ils n'ont pas permis de suspecter une fuite ;
- aucune faute ne peut lui être imputée dans la direction et la surveillance des travaux ;
- les désordres rendent l'ouvrage impropre à sa destination ;
- l'appel en garantie de la société Jean-Pierre Lott Architecte n'est pas fondé alors que les missions DET et AOR étaient conjointement assumées par la société Jean-Pierre Lott Architecte et la société Saunier et Associés ;
- la société Fayat Bâtiment doit également être condamnée à la garantir de toute condamnation dès lors qu'il lui appartenait jusqu'à la fin de la construction de garantir la pérennité des ouvrages dont la réalisation lui était confiée ;
- à titre infiniment subsidiaire, une mauvaise exécution des travaux étant principalement à l'origine du désordre, la société Fayat Bâtiment doit assumer 95% des responsabilités, seul le surplus pouvant être mis à la charge de la maîtrise d'oeuvre, et au moins pour moitié à celle de la société Jean-Pierre Lott Architecte ;
- à titre infiniment subsidiaire il y aura lieu de voir prononcer un partage de responsabilité par moitié entre le département de la Moselle et la maîtrise d'oeuvre, la société Jean-Pierre Lott Architecte devant elle-même prendre en charge la moitié de cette fraction ;
- elle ne saurait être condamnée au-delà de la somme de 21 285,81 euros correspondant à la surconsommation d'eau à compter de la date de réception.
Par un mémoire enregistré le 10 septembre 2018, la société Jean-Pierre Lott Architecture, représentée par la SCP Gandar-Buchheit, conclut à l'annulation du jugement et demande à la cour :
1°) de rejeter les demandes du département de la Moselle à l'égard de la responsabilité contractuelle de la maîtrise d'oeuvre ;
2°) à titre subsidiaire de ramener le préjudice à un montant de 21 285,81 euros ;
3°) à titre plus subsidiaire, de juger que le désordre est de nature décennale et de fixer le préjudice du département à 21 285,81 euros ;
4°) de juger que le sinistre relève de la seule responsabilité de la société Fayat Bâtiment ;
5°) à ce que la répartition des responsabilités soit fixée à 95% à la charge de la société Fayat Bâtiment et à 5% à la charge de la société Sibéo Ingénierie ;
6°) enfin, à ce que soit mis à la charge des sociétés Sibéo Ingénierie et Fayat Bâtiment le versement à chacune d'une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu sa responsabilité contractuelle alors que les désordres n'étaient pas apparents à la réception et que cette réception définitive des travaux met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et le maître d'oeuvre en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage ;
- les essais ont bien été mis en oeuvre et des travaux ont été réalisés postérieurement à la réception de l'ouvrage ;
- l'obligation de direction des travaux ne se substitue pas à celle de l'entrepreneur qui est tenu de surveiller son personnel et ses sous-traitants ;
- la société Fayat Bâtiment ne démontre pas que les désordres étaient apparents lors de la réception et la responsabilité décennale des constructeurs peut être recherchée ;
- la société Fayat Bâtiment doit la garantir de toute condamnation ;
- la société Saunier et Associés est directement responsable des désordres concernés en sa qualité de bureau d'études en charge des fluides ;
- la mauvaise exécution des travaux étant à l'origine principale du désordre, 95% de la responsabilité doit être mise à la charge de la société Fayat Bâtiment et la société Sibéo Ingénierie doit supporter l'intégralité de la responsabilité de la maîtrise d'oeuvre, à hauteur de 5% ;
- le préjudice doit être ramené à un montant de 21 285,81 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 octobre 2018 et le 12 janvier 2019, la société Fayat Bâtiment représentée par la SELARL Le Discorde-Deleau, conclut au rejet de la requête de la société Sibéo Ingénierie et demande à la cour :
1°) de rejeter les conclusions des parties en tant qu'elles sont dirigées contre elle ;
2°) subsidiairement, de condamner in solidum les sociétés Jean-Pierre Lott Architecte et Sibéo Ingénierie à la relever et à la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;
3°) de procéder à la répartition de la charge du préjudice ;
4°) à ce que soit mis à la charge de la société Sibéo Ingénierie le versement d'une somme de 3 000 euros chacune en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal administratif a retenu la responsabilité contractuelle du groupement de maîtrise d'oeuvre au titre d'un manquement de ce dernier à son obligation de conseil ;
- subsidiairement, les désordres étaient apparents lors de la réception et, en outre, ils ne remettent pas en cause la solidité de l'ouvrage et n'ont pas porté atteinte à sa destination de sorte qu'ils ne relèvent pas de la garantie décennale ;
- si sa responsabilité devait être retenue, elle est fondée à former un appel en garantie à l'encontre de la société Jean-Pierre Lott Architecte et de la société Sibéo Ingénierie dès lors que le désordre est imputable à la maîtrise d'oeuvre ;
- elle est fondée à solliciter que la cour effectue, en cas de condamnation in solidum, la répartition de la charge de l'indemnisation entre les parties.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 janvier 2019 et le 5 février 2019, le département de la Moselle, représenté par la SELARL Soler-Couteaux-Llorens, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) à titre subsidiaire de condamner solidairement le cabinet Jean-Pierre Lott Architecte et le BET Saunier et Associés, à lui verser la somme de 88.861,35 euros TTC, au titre de leur responsabilité contractuelle, augmentée des intérêts de droit et de leur capitalisation à chaque date anniversaire ;
2°) de condamner solidairement la société Jean-Pierre Lott, le bureau d'études techniques (BET) Saunier et Associés et la société Fayat Bâtiment à lui verser la somme de 88 861,35 euros TTC, sur le fondement de la garantie décennale, augmentée des intérêts capitalisés ;
3°) de mettre solidairement à la charge de la société Lott, du BET Saunier et Associés et de la société Fayat Bâtiment une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif de Strasbourg a, à juste titre, admis la recevabilité des conclusions indemnitaires dirigées contre la société Sibéo Ingénierie qui a repris l'ensemble des obligations issues des contrats commerciaux souscrits par la société Saunier et Associés ;
- la circonstance que la société Saunier et Associés ait été placée en liquidation judiciaire ne fait pas obstacle à sa condamnation ;
- dans l'hypothèse où les juges devraient considérer que la société Sibéo Ingenierie n'a pas repris l'ensemble des droits et obligations découlant du marché, ils devront condamner la société Saunier et Associés ;
- la responsabilité contractuelle de la maîtrise d'oeuvre est engagée pour manquement à son devoir de conseil lors des opérations de réception dès lors qu'elle s'est dispensée de faire procéder, préalablement à la réception, à des essais qui auraient permis d'attirer l'attention du maître d'ouvrage et celle de l'ensemble des constructeurs sur l'existence d'une fuite, qu'elle n'a à aucun moment contrôlé la bonne réalisation des essais, ni même leur réalisation effective, et que les désordres pouvaient être aisément décelés par la réalisation d'essais afin de contrôler le bon fonctionnement du système d'arrosage, alors que les essais réalisés unilatéralement par la société Spie Est l'ont été près de cinq mois avant la réception de l'ouvrage ;
- aucune faute exonératoire du département n'est démontrée ;
- la répartition des prestations entre les membres du groupement conjoint et solidaire de maîtrise d'oeuvre au titre de la mission AOR ne lui est pas opposable au département ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité décennale des constructeurs peut être solidairement engagée dès lors que les désordres en cause présentent incontestablement un caractère décennal ;
- le préjudice est justifié et s'élève à une surconsommation journalière, hors redevance d'assainissement, de 462,82 euros, sur une période de 192 jours, soit un total de 88 861,35 euros TTC.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code des marchés publics ;
- le décret n°93-1268 du 29 novembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Wallerich, président assesseur,
- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant le département de la Moselle et de Me C..., représentant la société Fayat Bâtiment.
Considérant ce qui suit :
1. Par un marché conclu le 27 mars 2008, le département de la Moselle a confié au groupement composé notamment de la société Jean-Pierre Lott Architecte et de la société Saunier et Associés, bureau d'études technique, la maîtrise d'oeuvre de la reconstruction du collège de Sarralbe. La réalisation de ces travaux a été confiée, par un lot unique, à la société Cari SAS, aux droits de laquelle vient la société Fayat Bâtiment. Cette dernière a sous-traité les prestations relatives au réseau d'arrosage extérieur à la société Spie Est ainsi qu'à la société Muller TP, devenue société TPDL. La réception des travaux a été prononcée le 10 juin 2013, avec effet au 31 mai 2013, assortie de réserves sans lien avec les désordres qui sont l'objet du présent litige. Par courriers des 3 juillet 2013, 15 juillet 2013 et 3 septembre 2013, le département de la Moselle a été informé, par la société Veolia Eau, de l'augmentation sensible de la consommation d'eau du collège de Sarralbe et d'un écoulement permanent laissant supposer l'éventualité d'une fuite. La société Fayat Bâtiment a remédié, le 26 septembre 2013, à la fuite d'eau localisée sur le réseau d'arrosage extérieur des espaces verts. Le département de la Moselle a recherché devant le tribunal administratif de Strasbourg la condamnation solidaire, à titre principal, de la société Jean-Pierre Lott Architecte et de la société Sibéo Ingénierie à défaut, de la société Saunier et Associés, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, et, à titre subsidiaire, de la société Jean-Pierre Lott Architecte, de la société Sibéo Ingénierie, de la société Saunier et Associés et de la société Fayat Bâtiment, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, à l'indemniser du préjudice subi du fait de ces désordres. Par un jugement n° 1603364 du 6 juillet 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné solidairement les sociétés Jean-Pierre Lott Architecte et Sibéo Ingénierie à verser au département de la Moselle la somme de 88 845,12 euros TTC assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2016 et de leur capitalisation à compter du 14 juin 2017. La société Sibéo Ingénierie relève appel de ce jugement.
Sur la recevabilité de la demande de première instance tendant à la condamnation de la société Sibéo Ingénierie :
2. En vertu des dispositions de l'article L. 626-10 du code de commerce, les personnes qui exécutent le plan de continuation ou de cession d'une entreprise en redressement judiciaire " ne peuvent pas se voir imposer des charges autres que les engagements qu'elles ont souscrits au cours de sa préparation ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas de cession judiciaire d'une entreprise, le cessionnaire dont l'offre, reprise dans le plan de cession approuvé par le tribunal, ne porte que sur les actifs de la société cédée, à l'exclusion du passif, n'est pas tenu par les obligations du cédant antérieures à la reprise, ce dernier n'étant pas déchargé des obligations contractuelles afférentes à sa propre gestion. Ces règles s'appliquent aux obligations découlant de marchés publics.
3. Il résulte de l'instruction que la société Saunier et Associés a été déclarée en cessation de paiement depuis le 22 novembre 2011 et qu'une procédure de redressement judiciaire a été ouverte par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 21 mai 2013. Dans ce cadre, un plan de cession partielle a été adopté par jugement du même tribunal du 30 juillet 2013 qui a retenu l'offre du groupement Quadriplus, lequel a créé à cette fin la société Saunier Ingénierie, devenue la société Sibéo Ingénierie le 15 avril 2014. Celle-ci est ainsi devenue cessionnaire d'une partie des actifs et des contrats énumérés à l'annexe 4 du jugement du 30 juillet 2013 lequel a, en outre, précisé que " le cessionnaire se substitue à la société Saunier et Associés dans les contrats et marchés en cours avec les clients qu'il entend poursuivre ".
4. Or, par un avenant n° 3 du 29 juillet 2014 au marché de maîtrise d'oeuvre mentionné au point 1, la société Saunier Ingénierie, devenue Sibéo Ingénierie le 15 avril 2014, s'est substituée au BET Saunier et Associés dans tous ses droits et obligations pour l'exécution de ce marché en cause et par suite, cette société doit être regardée, par la conclusion de cet avenant, comme ayant entendu poursuivre ce contrat, dans le cadre défini par le jugement du 30 juillet 2013, nonobstant la circonstance qu'il ne figurait pas sur la liste mentionnée à son annexe 4. Si cet avenant stipule que cette substitution est intervenue le 1er août 2013, soit à la date de la cession partielle de la société Saunier et Associés, la substitution de la société Sibéo Ingénierie vaut nécessairement, ainsi qu'il résulte notamment des stipulations de l'article 4 de l'acte d'engagement, pour l'ensemble des droits et obligations nés avant cette date. Par suite, et contrairement à ce que soutient la société appelante, l'ensemble des créances nées de l'exécution de ce marché n'avaient plus à figurer au passif de la société Saunier et Associés ni par suite, à être déclarées, sous peine de caducité, dans les conditions prévues à l'article L. 641-3 du code de commerce.
5. Il résulte de ce qui précède qu'alors même que la réception des travaux est intervenue avant le 1er août 2013, la société Sibéo Ingénierie n'est pas fondée à soutenir que les conclusions du département de la Moselle tendant à sa condamnation sur le fondement des obligations de la société Saunier et Associés résultant du marché de maîtrise d'oeuvre et dont elle a ainsi repris les droits et obligations, étaient mal dirigées.
Sur la responsabilité contractuelle :
6. La responsabilité des maîtres d'oeuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d'oeuvre en avait eu connaissance en cours de chantier. L'obligation de conseil des maîtres d'oeuvre lors de la réception des travaux ne se limite pas aux seules défectuosités susceptibles de rendre l'ouvrage impropre à sa destination et d'entrer à ce titre dans le champ de la garantie décennale, mais porte sur l'ensemble des malfaçons apparentes faisant obstacle à une réception sans réserve.
7. Selon les stipulations combinées de l'article 1.5.1. du cahier des clauses administratives particulières du marché de maître d'oeuvre du 27 mars 2008 et de l'annexe 1 de l'acte d'engagement de ce marché, l'assistance apportée au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception était incluse dans les éléments constitutifs de la mission de base du groupement de maîtrise d'oeuvre et relevait de la société Jean-Pierre Lott Architecte et de la société Saunier et Associés. Aux termes de l'article 2.13.1 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché de maîtrise d'oeuvre : " (...) Au titre des opérations préalables à la réception, le maître d'oeuvre : - s'assure de la conformité des ouvrages exécutés avec les pièces contractuelles des marchés de travaux ; - vérifie que les épreuves éventuellement prévues par le marché de travaux ont bien été exécutées et collecte les procès-verbaux correspondants ; - constate les éventuelles imperfections et malfaçons ; (...) ". Aux termes de l'article 1.4.2. du CCTP " Plomberie - Sanitaire " : " (...) b) réseau d'alimentation en eau : Avant remblaiement des tranchées, il sera procédé sur les réseaux à un remplissage et à leur épreuve sous pression de 1,5 fois la pression de service sans pour autant dépasser les limites fixées par les fabricants de matériel. (...) Après terminaison des travaux, il sera procédé à un contrôle sur compteur des pertes d'eau éventuelles enregistrées sur une période de 24 h puis à un enregistrement de la pression de service à diverses périodes de la journée et à la mesure du débit disponible aux points les plus défavorisés du branchement. ". Aux termes de l'article 7.1.3 du CCTP " Voirie et réseaux divers " relatif aux essais et vérifications des réseaux : " Les essais sont exécutés en présence du maître d'oeuvre (...) ".
8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert de l'assureur du département ainsi que d'un constat d'huissier, que la fuite constatée sur le système enterré d'arrosage des espaces verts trouve son origine dans une rupture de canalisation au droit de la partie filetée du raccord de la bouche d'arrosage. Si des essais de pression effectués le 15 janvier 2013 par la société Spie Est, sous-traitant de la société Cari, devenue Fayat Bâtiment, n'ont pas permis de détecter de fuite, il est constant que ces essais ont été réalisés en dehors de la présence des maîtres d'oeuvre et plus de quatre mois avant la réception des travaux. Il résulte notamment des stipulations précitées de l'article 1.4.2. du CCTP " Plomberie - Sanitaire " qu'il devait être procédé, à la fin des travaux, à des épreuves de contrôle des pertes d'eau éventuelles sur une durée de vingt-quatre heures, dont il appartenait aux maîtres d'oeuvre de vérifier la réalisation. Au regard des missions dont ils étaient investis et alors même que la fuite en cause n'était pas apparente à la date de réception des travaux en raison de l'enfouissement des canalisations, celle-ci était aisément décelable pour des maîtres d'oeuvre normalement diligents. Ceux-ci avaient, par suite, l'obligation d'appeler l'attention du département de la Moselle sur ce désordre qui faisait obstacle à une réception sans réserve sur ce point. Dans ces conditions, et ainsi que l'a estimé le tribunal administratif dans le jugement attaqué, la responsabilité contractuelle des sociétés Jean-Pierre Lott Architecte et Sibéo Ingénierie est engagée à l'égard du département de la Moselle, pour avoir manqué à leur devoir de conseil lors des opérations de réception.
Sur le préjudice :
9. Le préjudice du département de la Moselle est constitué par le surcoût de consommation d'eau qu'il a dû supporter en raison de la fuite en litige. Les premiers juges ont, sur la base de l'estimation réalisée par l'expert de l'assureur du département, évalué ce préjudice à un montant de 88 845,12 euros TTC après déduction de la remise accordée par la société fermière et en proratisant la surconsommation entre le 16 janvier 2013, date du lendemain des derniers essais et le 3 juillet 2013 date à laquelle le département a été informé de la probabilité d'une fuite. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés condamnées en première instance à l'appui de leurs conclusions tendant à la réduction de ce montant à 21 285,81 euros, la seule indétermination quant à la date de début de la fuite ne suffit pas à démontrer que le préjudice ne saurait être indemnisé au titre de la période antérieure au 10 juin 2013, date de la réception. Dans ces conditions, et en l'absence d'autre élément, ces sociétés ne sont pas fondées à soutenir que les premiers juges auraient fait une inexacte appréciation de ce préjudice en retenant l'estimation proposée par l'expert.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
10. Le département de la Moselle a droit aux intérêts au taux légal sur la somme totale de 88 845,12 euros TTC, à compter du 14 juin 2016, date d'enregistrement de sa demande et à la capitalisation des intérêts à compter du 14 juin 2017, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Sibéo Ingenierie et la société Jean-Pierre Lott Architecte, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de l'appel provoqué de cette dernière, ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg les a condamnées solidairement à verser au département de la Moselle la somme de 88 845,12 euros TTC assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2016 et de leur capitalisation à compter du 14 juin 2017 et de chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les appels en garantie :
12. La responsabilité contractuelle des maîtres d'oeuvre a été retenue au motif qu'ils ont manqué à leur devoir de conseil en n'appelant pas l'attention du maître de l'ouvrage sur les désordres dont il s'agit au moment de la réception. Cette faute étant exclusivement imputable aux sociétés Jean-Pierre Lott Architecte et Sibéo Ingénierie et présentant seule un lien de causalité avec le préjudice subi par le maître d'ouvrage, ces sociétés ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leurs appels en garantie dirigés contre la société Fayat Bâtiment qui a eu en charge l'exécution des travaux.
13. En l'absence de toute condamnation prononcée à son encontre, les conclusions d'appel en garantie formées par la société Fayat Bâtiment sont, quant à elles, sans objet.
14. Enfin, il résulte de ce qui a été dit au point 9 que la maîtrise d'oeuvre a commis un manquement dans l'accomplissement de sa mission d'assistance apportée au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception (AOR). En l'absence de stipulation du contrat fixant la répartition des tâches entre les membres du groupement de maîtrise d'oeuvre, dont la seule répartition des honoraires entre la société Jean-Pierre Lott Architecte et le BET Saunier et Associés ne saurait tenir lieu, et compte tenu notamment des conclusions de l'expert de l'assureur du département, ces manquements à la mission AOR doivent être regardés comme imputables à part égales à des fautes de l'architecte et du bureau d'études techniques. La société Jean-Pierre Lott Architecte et la société Sibéo Ingénierie ne sont donc pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif les a condamnées à se garantir mutuellement à hauteur de 50% des condamnations prononcées à leur encontre.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département de la Moselle, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Sibéo Ingénierie demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Sibéo Ingénierie le versement au département de la Moselle et à la société Fayat Bâtiment d'une somme de 1 500 euros chacun, sur le fondement des mêmes dispositions. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Jean-Pierre Lott Architecte sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Sibéo Ingénierie SAS est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel provoqué de la société Jean-Pierre Lott Architecte sont rejetées.
Article 3 : La société Sibéo Ingénierie versera au département de la Moselle et à la société Fayat bâtiment, une somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Sibéo Ingénierie, au département de la Moselle, à la société Jean-Pierre Lott Architecte et à la société Fayat Bâtiment.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2019, à laquelle siégeaient :
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