mercredi 2 octobre 2019

Marché public - réception, maître d'oeuvre et désordre apparent pour le maître de l'ouvrage

CAA de DOUAI

N° 16DA00132   
Inédit au recueil Lebon
3e chambre - formation à 3
M. Albertini, président
Mme Valérie Petit, rapporteur
M. Arruebo-Mannier, rapporteur public
SCP HOUZE - LEFEVRE, avocat


lecture du jeudi 7 mars 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'office public de l'habitat d'Amiens a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la SARL Agence d'architecture Deprick et Maniaque à lui verser la somme de 71 155,08 euros hors taxes au titre des travaux de reprise de l'isolation acoustique de l'extension de son siège social situé à Amiens et la somme de 3 083,98 euros toutes taxes comprises au titre des frais d'expertise, de condamner la société Egis Bâtiments Nord, venant aux droits de la SARL Iosis Nord, à lui verser la somme de 68 701,46 euros hors taxe au titre de ces travaux de reprise et la somme de 2 895,17 euros toutes taxes comprises au titre des frais d'expertise, de condamner la société LMH à lui verser la somme de 7 360,87 euros hors taxes au titre de ces travaux de reprise et la somme de 262,24 euros toutes taxes comprises au titre des frais d'expertise, de condamner la SARL BHF Delaplace à lui verser la somme de 7 360,87 euros hors taxes au titre de ces travaux de reprise et la somme de 262,24 euros toutes taxes comprises au titre des frais d'expertise, enfin, de condamner la société Socotec à lui verser la somme de 73 608,70 euros hors taxes au titre de ces travaux de reprise et la somme de 3 146,92 euros au titre des frais d'expertise.

Par un jugement n° 1301705 du 1er décembre 2015, rectifié par une ordonnance du 11 janvier 2016, le tribunal administratif d'Amiens a mis hors de cause la société LMH, a condamné solidairement la SARL Agence d'architecture Deprick et Maniaque et la SARL Egis Bâtiments Nord à verser à l'office public de l'habitat d'Amiens la somme de 72 060 euros hors taxes, a condamné la société BHF Delaplace à verser à l'office public de l'habitat d'Amiens la somme de 7 360,87 euros hors taxes, a condamné la société Socotec à verser à l'office public de l'habitat d'Amiens la somme de 6 005 euros hors taxes, a condamné l'office public de l'habitat d'Amiens à verser à la SARL Agence d'architecture Deprick et Maniaque la somme de 9 414,04 euros toutes taxes comprises, augmentée des intérêts au taux de la principale ressource de financement de la Banque centrale européenne majoré de sept points à compter du 19 mai 2014, et a condamné l'office public de l'habitat d'Amiens à verser à la société Egis Bâtiments Nord la somme 13 068,43 euros toutes taxes comprises augmentée des intérêts au taux de la principale ressource de financement de la Banque centrale européenne majoré de sept points à compter du 7 juillet 2014, avec capitalisation. Le tribunal a mis les frais de l'expertise à la charge de la société BHF Delaplace à hauteur de 2 622,44 euros, de la société Socotec à hauteur de 524,48 euros et des sociétés Agence d'architecture Deprick et Maniaque et Egis Bâtiments Nord, solidairement, à hauteur de 6 293,85 euros. Enfin, il a rejeté les conclusions de la société LMH et le surplus des conclusions des autres parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 21 janvier, 17 juin 2016, 21 août 2017, 30 janvier 2018 et 18 avril 2018, la société Egis Bâtiment Nord, représentée par Me B...F..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 1er décembre 2015 en tant qu'il a prononcé une condamnation à son encontre ;

2°) de mettre à la charge de l'office public de l'habitat d'Amiens la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société Socotec et de la Sarl Agence d'architecture Deprick et Maniaque la somme de 1 000 euros chacune au titre de ces mêmes dispositions.

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Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Valérie Petit, président-assesseur,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- les observations de Me A...F..., représentant la société Egis Bâtiment Nord,
- les observations de Me E...D..., représentant l'office public de l'habitat (OPH) d'Amiens,
- et les observations de Me G...C..., représentant la société SOCOTEC.


Considérant ce qui suit :

1. L'office public d'aménagement et de construction d'Amiens, devenu l'office public de l'habitat (OPH) d'Amiens, a fait procéder à l'extension de son siège social situé rue du général Frère à Amiens. La maîtrise d'oeuvre de cette opération a été confiée, à l'issue d'un concours, à un groupement composé de la SARL Agence d'architecture Deprick et Maniaque et de la société OTH Nord devenue SARL Iosis Nord, aux droits de laquelle vient désormais la société Egis Bâtiments Nord, selon un marché de maîtrise d'oeuvre du 27 septembre 2006. Par un marché du 13 décembre 2007, la société LMH a été chargée des travaux du lot n° 3 " Couverture / Etanchéité / Bardage ". Les travaux du lot n° 4 " Menuiseries extérieures " ont été confiés à la société BHF Delaplace par un marché du 12 décembre 2007. Une mission de contrôle technique a été confiée à la société Socotec, le 22 septembre 2006. L'office public, constatant que l'isolation acoustique du bâtiment, situé sur une voie très bruyante, n'était pas satisfaisante, a cherché à engager la responsabilité contractuelle des constructeurs devant le tribunal administratif d'Amiens. Par un jugement du 1er décembre 2015, le tribunal administratif a estimé que l'office public ne pouvait être regardé comme ayant réceptionné sans réserves l'ouvrage, même implicitement, de sorte qu'il était recevable à rechercher la responsabilité contractuelle de tous les constructeurs. Il a jugé que la maîtrise d'oeuvre avait manqué à son devoir de conseil au stade de la conception du projet, les exigences d'isolation acoustique n'ayant pas été suffisamment prises en compte, le bâtiment étant situé sur un boulevard bruyant. Le tribunal administratif a également retenu la responsabilité contractuelle de la société Socotec ainsi que celle de la société BHF Delaplace. En revanche, il a mis hors de cause la société LMH. Il a également jugé que l'office public avait lui-même commis des fautes à l'origine de son préjudice, en décidant d'abandonner le principe d'une double façade, qui aurait constitué un " sas " acoustique, et en manquant de vigilance dans le suivi des opérations. Il a fixé la part de responsabilité du groupement de maîtrise d'oeuvre à 60 %, celle de la société BHF Delaplace à 25 %, celle de l'office public de l'habitat à 10 % et celle de la Socotec à 5 %. Il a évalué le préjudice subi à la somme de 120 100 euros hors taxes. Après avoir relevé que le groupement de maîtrise d'oeuvre devait être regardé comme un groupement solidaire, il a, compte tenu du partage de responsabilité auquel il a procédé, condamné solidairement la SARL Agence d'architecture Deprick et Maniaque et la SARL Egis Bâtiments Nord à verser à l'office public la somme de 72 060 euros hors taxes, a condamné la société BHF Delaplace à verser à celui-ci la somme de 7 360,87 euros hors taxes et a condamné la société Socotec à lui verser la somme de 6 005 euros hors taxes. Le tribunal administratif a rejeté les demandes d'appel en garantie et a fait droit à certaines conclusions reconventionnelles. La société Egis Bâtiment Nord relève appel de ce jugement en tant qu'il a prononcé une condamnation à son encontre. Les autres parties présentent des conclusions d'appel provoqué ou des conclusions incidentes aux appels provoqués dirigés contre elles.

Sur l'appel principal de la société Egis Bâtiment Nord :

En ce qui concerne la réception de l'ouvrage :

2. La société Egis Bâtiment Nord soutient que, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif d'Amiens, l'ouvrage doit être regardé comme ayant été implicitement réceptionné par l'office public, de sorte que sa responsabilité contractuelle ne peut plus être mise en cause à raison de fautes qui lui sont reprochées dans la conception de cet ouvrage.

3. Aux termes de l'article 41.3 du cahier des clauses administratives générales-travaux 1976 : " Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'oeuvre, la personne responsable du marché décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. Si elle prononce la réception, elle fixe la date qu'elle retient pour l'achèvement des travaux. La décision ainsi prise est notifiée à l'entrepreneur dans les quarante-cinq jours suivant la date du procès-verbal. / A défaut de décision de la personne responsable du marché notifiée dans le délai précisé ci-dessus, les propositions du maître d'oeuvre sont considérées comme acceptées. / La réception, si elle est prononcée ou réputée comme telle, prend effet à la date fixée pour l'achèvement des travaux ".

4. Il résulte de l'instruction que le groupement de maîtrise d'oeuvre a proposé la réception des travaux, avec quelques réserves sans rapport avec l'isolation acoustique, et que l'office public de l'habitat d'Amiens n'a pas pris position, à l'égard des entrepreneurs concernés, dans le délai de quarante-cinq jours suivant la réception, le 20 juillet 2010, de cette proposition de réception. Ce n'est que postérieurement à l'expiration de ce délai, en octobre 2010, qu'il a estimé " incomplètes" les propositions transmises par le groupement de maîtrise d'oeuvre et a exigé de celui-ci qu'il lui adresse de nouvelles propositions intégrant la question des nuisances acoustiques, afin qu'une réception avec réserves sur ce point puisse être prononcée. Contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, cette manifestation d'intention postérieure à l'expiration du délai de quarante-cinq jours prévu par le cahier des clauses administratives générales (CCAG) n'a pas été de nature à faire obstacle à la réception tacite des travaux, à la date du 20 juillet 2010. Par suite, compte tenu de cette réception de l'ouvrage, l'office public ne peut plus rechercher la responsabilité contractuelle de la société Egis Bâtiment Nord à raison d'erreurs éventuelles commises par le groupement de maîtrise d'oeuvre dans la conception du dispositif d'isolation acoustique de l'immeuble ou le suivi de l'exécution des travaux.

5. L'office public de l'habitat d'Amiens soutient, il est vrai, que le groupement de maîtrise d'oeuvre a manqué à son obligation de conseil lors de la réception de l'ouvrage, en s'abstenant d'attirer son attention sur les nuisances sonores affectant l'immeuble.

6. En admettant même que la maîtrise d'oeuvre n'ait pas signalé au maître d'ouvrage, lors de la phase de réception des travaux, le non-respect de certains seuils d'isolation acoustiques mentionnés dans les marchés conclus avec les entreprises titulaires des lots n° 3 et 4 ; il résulte de l'instruction que l'office public ne pouvait ignorer cette situation, compte tenu notamment des mesures acoustiques effectuées par la société Socotec le 10 février 2010, qui lui avaient été communiquées. Dans ces conditions, l'office public n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité contractuelle de la société Egis Bâtiment Nord serait engagée au titre de l'obligation de conseil lors de la réception des travaux. Ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens l'a condamnée, solidairement avec la société Agence d'architecture Deprick et Maniaque, à verser à l'office public de l'habitat d'Amiens la somme de 72 060 euros hors taxes, ainsi que la somme de 6 293,85 euros au titre des frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés.

Sur les conclusions d'appel provoqué présentées par la société Agence d'architecture Deprick et Maniaque :

7. L'admission de l'appel principal de la société Egis Bâtiment Nord étant susceptible d'aggraver la situation de la société Agence d'architecture Deprick et Maniaque, compte tenu de leur condamnation solidaire prononcée en première instance, les conclusions par lesquelles, par la voie de l'appel provoqué, cette dernière demande à la cour de réformer le jugement en tant qu'il a prononcé une condamnation à son encontre sont recevables.

8. La société Agence d'architecture Deprick et Maniaque est fondée à soutenir, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés aux points 3 à 5 ci-dessus, que l'office public de l'habitat d'Amiens doit être regardé comme ayant implicitement réceptionné l'ouvrage et que, par suite, sa responsabilité contractuelle ne peut être engagée à raison d'éventuelles erreurs de conception ou d'un suivi insuffisant de la réalisation des travaux. Par ailleurs, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 6, l'office public n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité du groupement de maîtrise d'oeuvre serait engagée à raison d'un manquement à son obligation de conseil lors des opérations de réception. Ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens l'a condamnée, solidairement avec la société Egis Bâtiment Nord, à verser à l'Office public de l'habitat d'Amiens la somme de 72 060 euros hors taxes, ainsi que la somme de 6 293,85 euros au titre des frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés.

Sur les autres appels provoqués :

9. L'admission de l'appel principal n'aggrave pas la situation de la société LMH, ni celle de la société BHF Delaplace, ni celle de la société Socotec. Par suite, les conclusions d'appel provoqué présentées par ces sociétés ne sont pas recevables et ne peuvent qu'être rejetées.

10. Si l'office public de l'habitat d'Amiens demande à la cour de réformer le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 1er décembre 2015 en tant que celui-ci a limité la condamnation de la société BHF Delaplace à la somme de 7 360,87 euros, et de porter cette condamnation à la somme de 30 025 euros, ces conclusions, dont le montant excède celui demandé en première instance, alors que le préjudice ne s'est pas aggravé, ne sont par suite pas recevables et ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'office public de l'habitat d'Amiens le versement à la société Egis Bâtiment Nord de la somme de 1500 euros ainsi que le versement de la même somme à la société Agence d'architecture Deprick et Maniaque, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux autres conclusions présentées par les parties au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.


DECIDE


Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 1er décembre 2015 est annulé en tant qu'il a prononcé des condamnations à l'encontre de la société Egis Bâtiment Nord et de la société Agence d'architecture Deprick et Maniaque.

Article 2 : L'office public de l'habitat d'Amiens versera à la société Egis Bâtiment Nord une somme de 1 500 euros et la même somme à la société Agence d'architecture Deprick et Maniaque, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

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