N° 17BX00415
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre - formation à 3
Mme GIRAULT, président
M. David TERME, rapporteur
Mme CABANNE, rapporteur public
BOISSY AVOCATS, avocat
lecture du jeudi 6 juin 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :Procédure contentieuse antérieure :
La commune d'Ambarès-et-Lagrave a demandé au tribunal administratif de Bordeaux :
1°) de condamner la société atelier d'architecture King Kong Five à lui verser la somme de 175 900,40 euros en réparation de la surconsommation énergétique résultant de la non-conformité thermique du bâtiment du " pôle culturel Evasion ", assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'introduction de la requête et de la capitalisation des intérêts ;
2°) de condamner solidairement la société Sotrap maçonneries services (SMS) et l'atelier d'architecture King Kong Five à lui verser la somme de 222 798,84 euros TTC au titre des travaux de reprise de la façade du bâtiment, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'introduction de la requête et de la capitalisation des intérêts ;
3°) d'ordonner une expertise aux fins de déterminer les travaux nécessaires à la mise en conformité thermique du bâtiment du " pôle culturel Evasion " et leur coût.
Par un jugement n° 1403853 du 5 décembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 février 2017 et un mémoire enregistré le 5 juillet 2018, la commune d'Ambarès-et-Lagrave, représentée par la Selarl Boissy avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 décembre 2016 ;
2°) d'ordonner une expertise aux fins de déterminer les travaux nécessaires à la mise en conformité thermique du bâtiment du " pôle culturel Evasion " et leur coût, ou, subsidiairement, de condamner la société Atelier d'architecture King Kong Five, sur le fondement de la garantie décennale, à lui verser une somme de 175 900,40 euros au titre des surconsommations d'électricité, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la requête de première instance ;
3°) de condamner la société Sotrap maçonneries services (SMS) à lui verser une somme de 222 798,84 euros TTC sur le fondement de la garantie de bon fonctionnement au titre des travaux de reprise de la façade du bâtiment, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande de première instance, ou, subsidiairement, de condamner la société Atelier d'architecture King Kong Five à lui verser à ce même titre, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la somme de 222 798,84 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande de première instance ;
4°) de condamner solidairement la société Atelier d'architecture King Kong Five et la société SMS à lui verser une somme de 22 333,26 euros au titre des dépens, à parfaire en cas d'expertise complémentaire ;
5°) de mettre à la charge de la société Atelier d'architecture King Kong Five et de la société SMS une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la minute du jugement attaqué n'est pas signée, en méconnaissance de l'article R. 741-17 du code de justice administrative ;
- le tribunal administratif n'a pas recherché si la méconnaissance de la RT 2005 et la surconsommation énergétique ne rendaient pas l'ouvrage impropre à sa destination compte tenu des objectifs promis à la commune en matière de performance énergétique ; la maîtrise d'oeuvre doit réparer ce préjudice sur le fondement de la garantie décennale ;
- les erreurs de dimensionnement de la pompe à chaleur et les erreurs de calculs sont à l'origine d'une très importante surconsommation énergétique et d'une grave non-conformité à la réglementation thermique 2005, qui rendent l'ouvrage impropre à sa destination au regard des critères dégagés par l'article L. 111-13-1 du code de la construction et de l'habitation ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la non-conformité à la réglementation thermique RT 2005 est clairement établie par le rapport d'expertise ;
- en affirmant que l'existence d'une surconsommation d'énergie est due à des erreurs lors de la conception des installations de chauffage, l'expert a bien conclu à l'existence d'un désordre causé par un vice de conception au sens des dispositions de l'article L. 111-13-1 du code de la construction et de l'habitation ;
- la surconsommation énergétique a été évaluée à 17 590 euros par an sur une facture totale d'électricité de 28 000 euros, ce qui caractérise une surconsommation exorbitante au sens des dispositions de l'article L. 111-13-1 du code de la construction et de l'habitation, et ni les textes ni la jurisprudence ne prévoient que ce caractère exorbitant soit apprécié au regard de l'activité principale ou secondaire de l'ouvrage ;
- s'agissant d'un défaut de conception, les conditions d'usage et d'entretien de la salle ne sont pas pertinentes pour écarter l'application de l'article L. 111-13-1 du code de la construction et de l'habitation ;
- les désordres affectant la pompe à chaleur et induisant une surconsommation électrique engagent également la responsabilité de la maîtrise d'oeuvre sur le fondement de la garantie de bon fonctionnement ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il résulte de l'instruction que le sous-dimensionnement de la pompe à chaleur impose l'utilisation des auxiliaires électriques d'appoint qui sont à l'origine des surconsommations déplorées ;
- en effectuant les calculs erronés à l'origine des désordres et en ne décelant pas la surconsommation électrique qui en découle, le groupement de maîtrise d'oeuvre a manqué à son devoir de conseil et engagé sa responsabilité contractuelle en proposant une réception sans réserve ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la circonstance que les manquements ont été commis par l'un des membres du groupement, la société Cetab, ne pouvait faire échec à l'engagement de la responsabilité de l'autre membre du groupement, la société King Kong Five, dès lors que ni le marché, ni aucune convention à laquelle le maître d'ouvrage serait partie, ne fixe la répartition des missions au sein du groupement de maîtrise d'oeuvre ;
- l'expert ayant omis de préconiser une solution de reprise, il est nécessaire de faire procéder à une nouvelle expertise en vue de déterminer les travaux permettant de résoudre ce défaut de performance énergétique et d'en déterminer le coût ; à défaut, une somme de 175 900,40 euros TTC correspondant à dix années de surconsommation doit lui être allouée à titre de réparation ;
- alors que la notice du fournisseur indiquait que les panneaux isolants mis en oeuvre en façade du bâtiment devaient être disposés horizontalement et alignés bord à bord, ils ont été fixés verticalement et espacés les uns des autres, et fixés à la façade au moyen de 8 vis par plaque, au lieu de 10 vis prévues normalement ;
- la société SMS a été mise en demeure de réaliser les travaux de reprise pour mettre un terme aux espacements constatés entre les panneaux dans le cadre de la garantie de parfait achèvement, mais ne l'a jamais fait ;
- en n'attirant pas l'attention du maître d'ouvrage sur ce défaut lors des opérations de réception, alors qu'il était parfaitement visible et ne pouvait être ignoré d'un professionnel, la société Atelier d'architecture King Kong Five a engagé sa responsabilité contractuelle ;
- ce préjudice peut être évalué conformément au chiffrage retenu par l'expert à la somme de 222 798,84 euros TTC ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les discontinuités entre les panneaux constituent bien un désordre, à la fois esthétique et affectant la solidité de l'ouvrage dès lors que les panneaux subissent de ce fait une détérioration ; ces espacements induisent également des pertes énergétiques à hauteur de 0,45%, soit un préjudice annuel d'environ 126 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 avril 2017, la société Atelier d'architecture King Kong Five, représentée par la SCP Latournerie - B...- Czamanski - Mazille, conclut :
1°) à titre principal au rejet de la requête ;
2°) subsidiairement, à ce que la société CETAB soit condamnée à la garantir des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle au titre de la non-conformité thermique du bâtiment et à ce que les sociétés SMS et CETAB soient condamnées à la garantir des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle au titre des défauts affectant les panneaux isolants ;
3°) en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge de la commune d'Ambarès-et-Lagrave une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la commune n'établit pas que le jugement serait irrégulier par la seule production d'une copie non signée du jugement attaqué ;
- le rapport d'expertise ne fait état d'aucun désordre au regard de la réglementation thermique ou de la réglementation incendie ;
- la commune ne démontre pas que le non-respect de la RT 2005 serait de nature à caractériser une impropriété de l'ouvrage à sa destination ni que son utilisation ne pourrait se faire qu'à un coût exorbitant au sens de l'article L. 111-13-1 du code de la construction et de l'habitation ; sa responsabilité décennale ne peut donc être engagée ;
- l'action de la commune au titre de la garantie de bon fonctionnement est tardive ; au demeurant, en l'absence de désordre, la garantie de bon fonctionnement ne peut être mise en oeuvre ;
- les désordres qu'invoque la commune n'affectent pas un élément d'équipement dissociable de l'ouvrage ;
- sa responsabilité contractuelle ne peut être mise en oeuvre dès lors qu'elle n'avait pas connaissance de l'erreur de calcul commise par la société CETAB, qui n'a pas pris en compte les auxiliaires électriques d'appoint pour le calcul de la consommation énergétique du dispositif de chauffage de la salle de spectacle et qu'elle ne pouvait, par un simple essai de chauffage, déceler l'écart résultant de cette erreur de calcul entre la consommation énergétique réelle et celle initialement prévue ; elle ne pouvait par conséquent émettre de réserve à la réception ;
- en tout état de cause, en l'absence de désordre, elle n'avait pas l'obligation d'émettre de réserve ;
- la société CETAB devra être condamnée à la garantir de toute condamnation au titre des désordres thermiques dès lors que l'erreur de calcul ayant entraîné le défaut de respect de la RT 2005 lui est imputable ;
- sa responsabilité contractuelle ne peut être engagée au titre des défauts affectant les panneaux d'isolation thermique posés sur la façade dès lors qu'aucun préjudice n'est caractérisé et que l'expert n'a constaté aucun désordre ;
- la commune était informée des espacements entre les plaques des panneaux et ne peut donc soutenir qu'elle ignorait le phénomène ;
- la société SMS et la société CETAB doivent être condamnées à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre au titre des défauts dans la pose des panneaux d'isolation dès lors que la première ne s'est pas conformée à la notice technique et que la seconde, chargée du suivi technique, n'a pas émis de réserve à ce titre.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 mai 2017, la société SMS, représentée par la SCP Maxwell - Maxwell - Bertin, conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que la société Atelier d'architecture King Kong Five soit condamnée à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre et en tout état de cause à ce que soit mise à la charge de la commune d'Ambarès-et-Lagrave une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- seule la minute du jugement attaqué doit être signée ;
- l'expert n'a relevé aucun désordre ; la garantie de parfait achèvement ne peut donc être mise en oeuvre ;
- aucun préjudice n'est caractérisé ;
- le défaut de pose des plaques d'isolation était apparent à la réception mais n'a pas fait l'objet de réserves ; le courrier de mise en demeure est antérieur à la réception sans réserves ; aucun décollement ultérieur des panneaux n'est attesté ;
- la responsabilité contractuelle des constructeurs ne peut plus être recherchée après la réception définitive des travaux ;
- le maître d'oeuvre a validé le mode de pose et était parfaitement conscient de l'existence d'un espacement entre plaques ; la société Atelier d'architecture King Kong Five a commis une faute dans l'accomplissement de sa mission tant lors de la conception et du suivi de chantier que lors des opérations de réception et doit être condamnée à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.
Par un mémoire en défense enregistré le 25 septembre 2017, la société CETAB, représentée par la SCP Deffieux - Garraud, conclut :
1°) à titre principal au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à ce qu'un complément d'expertise soit ordonné concernant les désordres relatifs à la non-conformité thermique du bâtiment, au rejet des appels en garantie dirigés contre elle et à ce que la société SMS et la société Atelier d'architecture King Kong Five soient condamnées à la garantir intégralement des condamnations prononcées à son encontre ;
3°) en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge de la société Atelier d'architecture King Kong Five une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le principe du contradictoire n'ayant pas été respecté, l'expertise judiciaire est entachée d'irrégularité et " doit être annulée " ; à défaut, une nouvelle expertise doit être ordonnée ;
- les conditions posées par l'article L. 111-13-1 du code de la construction et de l'habitation, créé en 2015, ne sont pas réunies ; aucun vice de construction n'est démontré, ni aucun coût exorbitant en l'absence d'éléments de comparaison avec la consommation énergétique d'ouvrages de même nature ; les conditions d'entretien et d'utilisation sont inconnues ;
- le délai de la garantie de bon fonctionnement n'ayant été interrompu que jusqu'au prononcé de l'ordonnance de référé, soit jusqu'au 16 décembre 2012, les conclusions présentées à ce titre par la commune sont tardives ; au demeurant, les conditions de cette garantie ne sont pas non plus réunies, l'installation fonctionnant ; les consommations énergétiques telles que calculées par la société CETAB en fonction de la RT 2005 ne constituaient que des prévisions et non pas une obligation de résultat, antérieurement à la RT 2012 ;
- le courrier de la société CETAB qui met en demeure la société SMS de reprendre les travaux afférents aux espacements constatés entre les panneaux isolants n'étant pas constitutif d'une reconnaissance de responsabilité, le délai de la garantie de parfait achèvement a expiré le 26 mai 2010 ;
- la société Atelier d'architecture King Kong Five ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par le CETAB, qui n'avait pas de visa à donner sur un lot architecture, en lien avec la pose des panneaux isolants ; son appel en garantie doit donc être rejeté.
Un courrier du 9 juillet 2018 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par ordonnance du 3 janvier 2019, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire présenté pour la société atelier d'architecture King Kong Five a été enregistré le 3 janvier 2019 postérieurement à la clôture d'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;
- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. David Terme,
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., représentant la commune d'Ambarès-et-Lagrave, les observations de MeB..., représentant la société Atelier d'architecture King Kong Five, les observations de MeA..., représentant la société Sotrap maçonneries services et les observations de MeD..., représentant la société Centre d'étude technique Aquitaine bâtiment.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte d'engagement du 7 mars 2006, la commune d'Ambarès-et-Lagrave a confié la maîtrise d'oeuvre de l'opération de restructuration de la salle de spectacles dénommée " salle Evasion " à un groupement solidaire comprenant la société Atelier d'architecture King Kong Five, mandataire, et la société Centre d'étude technique Aquitaine bâtiment (CETAB). Le lot n° 1.02 " Fondations - Gros oeuvre " a été attribué à la société Sotrap maçonneries services (SMS). Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 29 décembre 2009 avec effet au 29 mai 2009. A la suite de l'apparition de désordres affectant la façade et la consommation énergétique de l'immeuble, la commune d'Ambarès-et-Lagrave a demandé la réalisation d'une expertise par requête en référé enregistrée le 10 novembre 2010. Cette demande portait initialement sur les modalités de pose des panneaux isolants fixés sur la façade de l'immeuble et a ensuite été étendue à la vérification des installations techniques et du bâti au regard de la conformité à la réglementation thermique RT 2005, à la vérification des consommations et surconsommations, et au chiffrage et à l'estimation des travaux réparatoires éventuels. L'expert a déposé son rapport le 18 janvier 2014. La commune d'Ambarès-et-Lagrave a alors demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la société Atelier d'architecture King Kong Five à lui verser la somme de 175 900,40 euros en réparation de la surconsommation énergétique de l'ouvrage, de condamner solidairement les sociétés SMS et Atelier d'architecture King Kong Five à lui verser la somme de 222 798,84 euros TTC au titre des travaux de reprise de la façade du bâtiment, et d'ordonner un complément d'expertise pour évaluer le coût des travaux de mise en conformité thermique du bâtiment. Elle relève appel du jugement du 5 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté comme manquant en fait.
3. Si le tribunal s'est abstenu de répondre à l'argumentation de la commune concernant l'application de l'article L. 111-13-1 du code de la construction et de l'habitation, ces dispositions sont issues de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015, et n'étaient donc pas applicables au litige. Le moyen étant ainsi inopérant, le jugement n'est pas entaché d'irrégularité sur ce point.
Sur la responsabilité de la société King Kong Five au titre de la performance énergétique du bâtiment :
En ce qui concerne la responsabilité décennale :
4. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. La circonstance que les désordres affectant un élément d'équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de cet élément n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination.
5. Il ressort du rapport d'expertise mentionné au point 1, d'une part, que la puissance minimale à mettre en oeuvre pour assurer le chauffage de la salle de spectacle a été évaluée par le sapiteur à 95 623 watts pour des températures de base fixées à -5 °C à l'extérieur et +19 °C à l'intérieur, alors que la pompe à chaleur installée ne peut développer que 91 kilowatts pour une température extérieure de +7 °C, et, d'autre part, que la société CETAB aurait omis d'intégrer dans le calcul de la consommation électrique de l'installation les batteries électriques auxiliaires de la pompe à chaleur, d'une puissance de 48 kilowatts. Du fait de ces erreurs, la consommation électrique du système de chauffage a été évaluée par la société CETAB, préalablement à la réalisation des travaux, à 38 867 kilowatts/heures annuels, alors que la consommation électrique réelle évaluée par le sapiteur se monte à 164 559,43 kilowatts/heures annuels.
6. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, l'éventuelle méconnaissance de la réglementation thermique RT 2005 ne suffit pas en elle-même à établir que les erreurs mentionnées au point 5 constituent des désordres rendant la salle " Evasion " impropre à sa destination, et il ne résulte pas de l'instruction que ces erreurs auraient pour effet d'empêcher que la salle soit convenablement chauffée pour son usage. A cet égard, ni les éléments produits par la commune durant l'expertise pour établir la consommation d'électricité de la salle pour les années 2010 à 2012, qui n'ont pas été produits à l'instance, ni la circonstance que l'évaluation de la consommation d'électricité résultant des calculs de la société CETAB était inférieure à la consommation réelle du bâtiment ne permettent d'établir à eux seuls que la salle ne pourrait être utilisée dans des conditions normales.
7. Par ailleurs, si la commune soutient que le programme technique détaillé du marché qu'elle avait établi exprimait des exigences en matière d'isolation thermique et de consommation énergétique qui devaient inscrire le bâtiment dans une démarche de développement durable, cette circonstance ne permet pas de caractériser une impropriété de l'ouvrage à sa destination en l'espèce, compte tenu de la généralité des exigences fixées sur ce point par le programme technique et de leur absence d'incidence sur la conception d'ensemble de l'ouvrage. Au demeurant, il résulte également de l'instruction que pour l'atteinte des cibles de la " Haute qualité environnementale ", la commune avait classé au rang trois sur trois la consommation énergétique du bâtiment.
8. Enfin, la commune d'Ambarès-et-Lagrave ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 111-13-1 du code de la construction et de l'habitation, issues de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui ne sont pas applicables au marché réceptionné avant son entrée en vigueur.
En ce qui concerne la garantie de bon fonctionnement :
9. Nonobstant les erreurs mentionnées au point 5, il ne résulte pas de l'instruction que la pompe à chaleur ou les batteries auxiliaires présenteraient un dysfonctionnement ou ne permettraient pas un chauffage satisfaisant de la salle. A cet égard, le rapport d'expertise mentionne au contraire que " les installations telles que réalisées (...) ne présentant pas de désordre identifié, peuvent rester dans l'état ". Dès lors, et bien que le système de chauffage ne permette pas d'atteindre les performances énergétiques anticipées par la maîtrise d'oeuvre, les conclusions de la commune tendant à la mise en jeu de la responsabilité de la société Atelier d'architecture King Kong Five au titre de la garantie biennale de bon fonctionnement prévue par l'article 1792-3 du code civil doivent en tout état de cause être rejetées.
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :
10. La responsabilité des maîtres d'oeuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves.
11. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la commune ne démontre pas que le système de chauffage de la salle " Evasion " serait affecté d'un désordre susceptible d'entraîner la mise en jeu de la responsabilité décennale ou biennale de la société Atelier d'architecture King Kong Five. En outre il ne résulte pas non plus de l'instruction que cette société aurait eu connaissance des erreurs commises par la société CETAB mentionnées au point 5 ni de leurs conséquences préalablement à la réception des travaux. Ces conséquences n'étaient pas non plus apparentes lors de la réception et ne pouvaient être détectées sans évaluation globale de la consommation énergétique réelle de l'ouvrage. Par suite, et sans qu'importe en l'espèce la circonstance que les sociétés CETAB et Atelier d'architecture King Kong Five aient été membres d'un groupement conjoint solidaire, les conclusions tendant à la mise en jeu de la responsabilité de la société Atelier d'architecture King Kong Five au titre de son devoir de conseil ne peuvent qu'être rejetées.
Sur la responsabilité de la société SMS et de la société Atelier d'architecture King Kong Five au titre des défauts dans la pose des panneaux isolants :
12. La commune d'Ambarès-et-Lagrave recherche la responsabilité de la société SMS au titre de la garantie de parfait achèvement et celle de la société Atelier d'architecture King Kong Five au titre de son devoir de conseil en raison des défauts qui affectent les panneaux isolants mis en oeuvre sur la façade de la salle " Evasion ".
13. Selon le rapport d'expertise, ces panneaux ont été posés verticalement, alors que la notice de montage préconise une pose horizontale, ont été espacés de 1 à 3 millimètres horizontalement et de 5 à 11 millimètres verticalement, de sorte que des joints ont dû être réalisés, et ont été fixés par huit vis alors que la fiche technique indique 8 vis / mètre carré, soit, compte tenu de la surface des panneaux, 10 fixations théoriques.
14. Toutefois, en premier lieu, il résulte de l'instruction que les défauts invoqués par la commune étaient apparents et connus de la commune à la date des opérations de réception des travaux, alors que la réception a été prononcée sans réserve. Dès lors, la commune d'Ambarès-et-Lagrave ne peut rechercher la responsabilité de la société SMS au titre de la garantie de parfait achèvement à ce titre.
15. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les éléments mentionnés au point 13 sont sans incidence sur le respect des dispositions relatives à la prévention des incendies dans les établissements recevant du public, sont également sans incidence sur le respect par le bâtiment de la réglementation thermique " RT 2005 " et n'ont qu'une incidence infime sur la consommation énergétique du bâtiment. L'expert a d'ailleurs relevé que s'ils pouvaient être qualifiés de " non-conformité de pose ", ils ne constituent pas un désordre. En outre, la commune ne fait valoir aucune obligation contractuelle qui aurait été méconnue de ce fait. Enfin, ni l'existence d'un désordre esthétique, ni la fragilité des panneaux isolants ainsi mis en oeuvre face aux aléas climatiques, ni le décollement allégué de certains panneaux ne sont établis par les éléments de l'instruction. Par suite, les conclusions de la commune tendant à la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de la société Atelier d'architecture King Kong Five au titre d'un manquement à son devoir de conseil lors des opérations de réception doivent être rejetées.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Ambarès-et-Lagrave n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande.
Sur les frais de l'expertise :
17. Il y a lieu de maintenir à la charge définitive de la commune d'Ambarès-et-Lagrave les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 22 282,26 euros.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Atelier d'architecture King Kong Five et de la société SMS la somme que demande la commune d'Ambarès-et-Lagrave au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de cette dernière le versement à ce titre aux sociétés Atelier d'architecture King Kong Five, SMS et CETAB, d'une somme de 1 000 euros chacune.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune d'Ambarès-et-Lagrave est rejetée.
Article 2 : La commune d'Ambarès-et-Lagrave versera à la société Atelier d'architecture King Kong Five, à la société SMS et à la société CETAB une somme de 1 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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