N° 16BX01603
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre - formation à 3
Mme GIRAULT, président
Mme Catherine GIRAULT, rapporteur
Mme CABANNE, rapporteur public
SELARL SAVARY-GOUMI, avocat
lecture du jeudi 14 mars 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Labastide d'Armagnac a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner in solidum, sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs, les sociétés LA et bureau d'études AMT, l'EURL Mazzaron, la société Briscadieu Frères et la société Miroiterie Landaise, devenue Montoise de Miroiterie, à lui verser diverses sommes en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait des désordres affectant la salle polyvalente.
Par un jugement n° 1401086 du 10 mars 2016, le tribunal administratif de Pau a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 mai 2016, et un mémoire enregistré le 4 décembre 2017, la commune de Labastide d'Armagnac demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau n° 1401086 du 10 mars 2016 ;
2°) de condamner solidairement la société LA et le Bureau d'études AMT à lui verser à la somme de 15 837,47 euros TTC au titre des travaux de reprise du chauffage ;
3°) de condamner solidairement la Société LA, le Bureau d'études AMT et l'EURL Mazzaron à lui verser la somme de 4 017,31 euros TTC au titre des travaux de reprise de l'étanchéité de la toiture ;
4°) de condamner solidairement la société Briscadieu Frères et la société Montoise de Miroiterie à lui verser la somme de 682,74 euros TTC au titre des travaux de reprise de l'étanchéité des baies ;
5°) de condamner solidairement la société Briscadieu Frères et la société Montoise de Miroiterie à lui verser la somme de 27 000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice de jouissance ;
6°) de condamner solidairement la société LA, le Bureau d'études AMT, la société Briscadieu Frères, la société Montoise de Miroiterie et l'EURL Mazzaron à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
7°) de condamner solidairement la société LA, le Bureau d'études AMT, la société Briscadieu Frères, la société Montoise de Miroiterie et l'EURL Mazzaron au paiement des entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire d'un montant de 9 404,92 euros.
Elle soutient que :
- les désordres en cause sont susceptibles de compromettre la solidité de l'ouvrage ou de le rendre impropre à sa destination, comme l'a relevé l'expert ;
- les vices affectant le système de chauffage de la salle polyvalente n'étaient pas apparents lors de la réception, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, et le maître d'oeuvre n'a pas attiré son attention sur ce point ; subsidiairement, l'ampleur du dommage n'était pas connue ;
- les entrées d'eaux résultant de perforations de la couverture et de la contre-pente du chéneau compromettent la destination de l'ouvrage, et engagent la responsabilité tant du maître d'oeuvre, qui a manqué à son obligation de prescrire les travaux nécessaires pour stopper ces entrées, que de l'entreprise de charpente ; dès lors que le marché prévoyait un complément d'étanchéité, il ne peut être soutenu que le désordre est sans rapport avec les travaux commandés ;
- la circonstance que les entrées d'eaux dues aux défauts d'étanchéité des baies seraient limitées n'était pas de nature à faire obstacle à la reconnaissance du caractère décennal de ce désordre dans un établissement accueillant du public ;
- les travaux préconisés par l'expert doivent être revalorisés à la suite du relèvement du taux de TVA à 15 438,94 euros TTC pour la reprise du système de chauffage, 4 017,31 euros TTC pour l'étanchéité de la toiture, 682,74 euros TTC pour l'étanchéité des baies ; la reprise de l'étanchéité de la toiture doit être évaluée selon devis joint au rapport de l'expert, même si ce dernier en a inexactement reporté le montant ;
- elle a intégralement réglé le marché de l'entreprise Roumat ;
- elle a fait installer un chauffage électrique pour un coût de 20 708,64 euros TTC en 2017 ;
- le préjudice de jouissance tant pendant la période où la commune a subi les infiltrations et dysfonctionnements du chauffage que pendant les travaux réparatoires doit être évalué à 27 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 novembre 2017, la société LA demande à la cour :
1°) A titre principal de rejeter la requête, de condamner la commune à lui rembourser la somme de 3 125 euros versée à titre de provision en exécution de l'ordonnance du juge des référés du 23 juillet 2014, et de mettre à la charge de la commune une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
2°) A titre subsidiaire, de condamner à la garantir et relever indemne de toutes condamnations susceptibles d'intervenir à son encontre la société AMT pour le désordre relatif au chauffage, la société Mazzaron pour les infiltrations en toiture, et le Bureau d'études AMT, la société Briscadieu Frères, la société Montoise de Miroiterie et l'EURL Mazzaron pour les frais annexes, ou à défaut proratiser ceux-ci.
Elle soutient que :
- sur le désordre relatif au chauffage, il résulte d'un défaut d'exécution de la part de l'entreprise Roumat, qui avait de surcroît en charge les études d'exécution ; seul le défaut de suivi pourrait relever de la maîtrise d'oeuvre, mais les lots 7 et 8 chauffage et plomberie étaient suivis par le bureau AMT, qui n'est pas tenu conjointement et solidairement avec elle à l'égard du maître d'ouvrage, si bien que les sommes qu'elle a réglées au titre de la provision accordée en référé doivent lui être remboursées ; en outre, la collectivité ne justifie pas de l'état de ses règlements à l'entreprise Roumat, alors que le maître d'oeuvre avait suggéré une retenue dans l'attente de la remise du dossier des ouvrages exécutés ;
- la commune pouvant bénéficier du FCTVA, la condamnation ne pourrait être prononcée qu'hors taxes pour 12 865,78 euros ;
- s'agissant des désordres relatifs aux infiltrations d'eau par toiture, ils résultent de défaillances de la toiture existante sans rapport avec les travaux ; la mise en place d'une membrane sur le chéneau relève de l'entretien normal ; subsidiairement seule une indemnité hors taxe de 2 778,80 euros pourrait être accordée et la société Mazzaron devrait la garantir intégralement ;
- elle devrait être garantie des indemnités au titre des frais d'expertise et au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, ou à défaut n'y être tenue qu'au prorata de ses condamnations.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 décembre 2017, la société AMT conclut au rejet de la requête, subsidiairement au rejet de la demande de paiement solidaire et à la limitation de sa responsabilité aux seuls désordres affectant le chauffage, à hauteur de la somme maximum de 1 660,56 euros correspondant à 17 % de sa mission de direction de l'exécution des travaux, ou subsidiairement à la condamnation de la société LA à la garantir à hauteur de 85 % des désordres affectant le chauffage, et à la mise à la charge de la commune d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'acte d'engagement démontre qu'elle n'était titulaire que de 15 % de la mission de maîtrise d'oeuvre, circonscrite au chauffage ;
- les travaux ont été réceptionnés sans réserves sur ce point et elle avait informé le cabinet d'architecte des reprises à faire effectuer ; le rapport du bureau SETAH produit par la commune deux ans après l'expertise n'est pas contradictoire et ne saurait lui être opposé ;
- l'impropriété à destination n'est pas justifiée en l'absence de mesures de température par le sapiteur de l'expert ;
- les désordres relatifs à l'étanchéité de la toiture, qui ne lui sont en rien imputables, ne sont en tout état de cause pas de nature décennale, faute de rendre la salle impropre à sa destination ;
- la somme demandée pour le préjudice de jouissance n'est nullement justifiée.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 janvier 2018, la SARL Briscadieu Frères conclut :
- au rejet de la requête ;
- subsidiairement à la condamnation des sociétés LA et AMT à la garantir de toute condamnation et à lui rembourser la provision versée à hauteur de 341,37 euros TTC ;
- au rejet de la demande de la commune au titre du préjudice de jouissance comme non justifiée ;
- à ce que la cour répartisse les frais d'expertise au prorata des dommages en limitant sa contribution à 1,75 % des frais hors taxes, ou condamne les sociétés LA, AMT et Mazzaron à la garantir de 98,5 % des frais d'expertise ;
- et à la mise à la charge de la commune d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à juste titre que le tribunal a estimé que les désordres affectant l'étanchéité des baies vitrées, dont la réparation s'élève à 680,46 euros, ne sont pas de nature à rendre la salle impropre à sa destination ;
- subsidiairement, le paiement de la moitié de cette somme en exécution d'une ordonnance de référé devra être déclaré satisfactoire ;
- la maîtrise d'oeuvre avait une obligation de suivi d'exécution des travaux et aurait dû mettre en garde la commune lors de la réception dès lors que l'expert a relevé que le vice était décelable ;
- elle ne doit pas prendre en charge les frais d'expertise alors qu'aucune demande de reprise ne lui a été présentée par le maître d'ouvrage ; au demeurant, aucune solidarité ne se justifie alors que les autres dommages ne lui sont en tout état de cause pas imputables ; subsidiairement seuls 1,75 % des frais d'expertise pourraient être mis à sa charge ;
- les condamnations éventuelles ne peuvent être prononcées qu'hors taxes au regard des garanties du FCTVA ;
- la demande de la commune à son encontre au titre du préjudice de jouissance n'est pas justifiée ; seul le chauffage pourrait être à l'origine d'une sous-utilisation de la salle, au demeurant non démontrée ; les travaux de reprise d'étanchéité des baies, s'ils n'ont pas été exécutés après versement de la provision, sont minimes et n'immobiliseraient pas la salle plus de quelques heures ; une expertise complémentaire pourrait être demandée à l'expert sur ce point.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 janvier 2018, MeB..., mandataire judiciaire de la société Montoise de Miroiterie, conclut :
- au rejet de la requête ;
- subsidiairement à la condamnation des sociétés LA et AMT à la garantir de toute condamnation et à lui rembourser la provision versée à hauteur de 341,37 euros TTC ;
- au rejet de la demande de la commune au titre du préjudice de jouissance comme non justifiée, ou subsidiairement à ce que la condamnation soit proportionnelle aux désordres relevant de chaque entreprise ;
- à ce que la cour répartisse les frais d'expertise au prorata des dommages en limitant sa contribution à 1,75 % des frais hors taxes, ou condamne les sociétés LA, AMT et Mazzaron à la garantir de 98,5 % des frais d'expertise ;
- et à la mise à la charge de la commune d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la commune devra justifier avoir déclaré sa créance après le jugement du 11 juin 2015 du tribunal de commerce prononçant son redressement judiciaire ; à défaut, toute demande contre elle serait irrecevable et ne pourrait aboutir à une condamnation, mais seulement à la fixation d'un montant de créance ;
- c'est à juste titre que le tribunal a estimé que les désordres affectant l'étanchéité des baies vitrées, dont la réparation s'élève à 680,46 euros, ne sont pas de nature à rendre la salle impropre à sa destination ;
- subsidiairement, le paiement de la moitié de cette somme en exécution d'une ordonnance de référé devra être déclaré satisfactoire ;
- la maîtrise d'oeuvre avait une obligation de suivi d'exécution des travaux et aurait dû mettre en garde la commune lors de la réception dès lors que l'expert a relevé que le vice était décelable ;
- elle ne doit pas prendre en charge les frais d'expertise alors qu'aucune demande de reprise ne lui a été présentée par le maître d'ouvrage ; au demeurant, aucune solidarité ne se justifie alors que les autres dommages ne lui sont en tout état de cause pas imputables ; subsidiairement seuls 1,75 % des frais d'expertise pourraient être mis à sa charge ;
- les condamnations éventuelles ne peuvent être prononcées qu'hors taxes au regard des garanties du FCTVA ;
- la demande de la commune à son encontre au titre du préjudice de jouissance n'est pas justifiée ; seul le chauffage pourrait être à l'origine d'une sous-utilisation de la salle, au demeurant non démontrée ; les travaux de reprise d'étanchéité des baies, s'ils n'ont pas été exécutés après versement de la provision, sont minimes et n'immobiliseraient pas la salle plus de quelques heures ;
- la double procédure en référé et au fond n'était pas justifiée et la demande de la commune au titre des frais est abusive.
Un courrier du 14 février 2018 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
L'instruction a été close au 9 mars 2018, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Catherine Girault, président ;
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public ;
- et les observations de MeA..., représentant la Sarl Briscadieu Frères et MeB..., mandataire judiciaire de la société Montoise de Miroiterie.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Labastide d'Armagnac (Landes) a entrepris en 2007 des travaux d'aménagement d'un ancien cinéma en salle d'activités touristiques et culturelles sur la place du Foyer. La maîtrise d'oeuvre de l'opération a été confiée à la société LA, assistée du bureau d'études AMT, le lot n°1 démolitions-maçonnerie à la société Briscadieu, le lot n°2 charpente-couverture à l'EURL Mazzaron, le lot n°3 menuiseries aluminium à la société Miroiterie Landaise et le lot n°8 sanitaire-plomberie-VMC-chauffage à la SARL Roumat, ultérieurement mise en liquidation. Les travaux ont été réceptionnés le 15 janvier 2008 avec quelques réserves. Le 25 novembre 2009, un huissier a constaté à la demande de la commune que le chauffage ne fonctionnait pas et que des plaques de rouille dans la grande salle témoignaient d'une fuite au niveau du chéneau. Puis la commune a sollicité une expertise judiciaire. L'expert désigné le 13 avril 2012 par ordonnance du tribunal administratif de Pau a rendu son rapport le 15 juillet 2013. La commune a obtenu du juge des référés, par ordonnance du 23 juillet 2014, des provisions d'un montant de 12 500 euros, mais par jugement au fond du 10 mars 2016, le tribunal administratif de Pau a rejeté l'ensemble de ses demandes. La commune relève appel de ce jugement et sollicite à nouveau la condamnation des constructeurs, sur le fondement de la responsabilité décennale, à réparer les désordres.
Sur la responsabilité décennale:
2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur ou le fabricant dont la responsabilité est recherchée en application de ces principes n'est fondé à se prévaloir vis-à-vis du maître de l'ouvrage de l'imputabilité à un autre constructeur cocontractant du maître de l'ouvrage de tout ou partie des désordres litigieux, et à demander en conséquence que sa responsabilité soit écartée ou limitée, que dans la mesure où ces désordres ou cette partie des désordres ne lui sont pas également imputables. Les constructeurs ne peuvent s'exonérer de cette responsabilité présumée qu'en prouvant que les désordres proviennent d'une cause étrangère à leur intervention ou relèvent, en tout ou partie, d'un cas de force majeure ou d'une faute du maître de l'ouvrage.
En ce qui concerne les infiltrations en toiture :
3. L'expert a constaté dans un premier temps un point d'entrée d'eau dans l'angle sud-ouest de la salle, et relevé une perforation par poinçonnement de la couverture existante. Il a estimé que ce trou, à l'origine de l'entrée de l'eau, était indépendant des travaux engagés par les constructeurs. Si la commune a ensuite fait observer que le marché comportait un complément d'étanchéité de la couverture, cette seule remarque n'est pas de nature à établir que ce désordre serait en lien avec les travaux effectués.
4. L'expert a également relevé un point d'entrée d'eau plus conséquent le long de la façade ouest sous le versant long, sur une ligne sous-jacente au chéneau. Les infiltrations, dues à la contre-pente du chéneau, ont cessé à la suite de la pose d'une membrane sur celui-ci. Il ne ressort pas de photographies ou d'autres éléments du dossier que les taches de moisissure d'ampleur limitée dans la salle auraient été de nature à faire obstacle à son utilisation. Dans ces conditions, la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que ces désordres, pour lesquels au demeurant l'expert retient un chiffrage de réparations à hauteur de 3 323,45 euros TTC, n'étaient pas de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.
En ce qui concerne la défaillance d'étanchéité des baies :
5. Il résulte du rapport de l'expert que l'entreprise Briscadieu, titulaire du lot maçonnerie, a réalisé trois ouvertures verticales dans le plan de façade ouest, dans lesquelles sont inscrits trois portiques en béton armé formant saillie. Des entrées d'eau ont été constatées du fait de mauvais raccords des maçonneries et de l'absence de larmier sous entablements, qui surexpose les menuiseries aluminium posées par l'entreprise Montoise de Miroiterie au ruissellement. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que ce désordre, de portée limitée et auquel il pouvait au demeurant être remédié pour un coût de 680,46 euros TTC, soit de nature à compromettre la destination de la salle communale. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté la responsabilité décennale des constructeurs.
En ce qui concerne l'absence de fonctionnement du chauffage :
6. Il est constant que le chauffage, qui n'avait fait l'objet d'aucune réserve à la réception, n'a jamais fonctionné, comme l'ont reconnu les représentants de la maîtrise d'oeuvre lors d'un constat d'huissier effectué le 25 novembre 2009. L'expert a proposé de reconnaître que ce dysfonctionnement était de nature à compromettre la destination de la salle polyvalente. La commune y a remédié dans un premier temps par la location d'installations provisoires au gaz pour les manifestations hivernales, puis après le dépôt du rapport d'expertise, par la mise en place d'un chauffage électrique en 2017, dont les caractéristiques diffèrent substantiellement des modalités de réparation préconisées par l'expert, mais dont elle ne réclame pas le surcoût par rapport à la solution qu'il proposait.
7. Pour rejeter la demande d'indemnité de la commune, le tribunal a retenu tout à la fois que ce désordre, qui aurait dû être décelé lors des opérations de réception des bâtiments du 15 janvier 2008, devait être regardé comme ayant été apparent à cette date, que la commune de Labastide d'Armagnac a prononcé la réception de ces bâtiments alors que les essais du système de chauffage, qui auraient permis de faire apparaître les insuffisances l'affectant, n'avaient pas été réalisés, et qu'il appartenait, en tout état de cause, au maître de l'ouvrage et au maître d'oeuvre de s'assurer du bon fonctionnement du chauffage, de le soumettre à des épreuves et de faire effectuer des essais des installations de régulation préalablement à la réception de l'ouvrage. Il a ajouté que " si le rendement de l'installation de chauffage de la salle polyvalente est défavorable, il résulte de l'instruction que ce rendement insuffisant ne rend pas l'immeuble impropre à sa destination et ne porte pas atteinte à sa solidité " et en a conclu que les conditions d'engagement de la garantie décennale des constructeurs ne sont pas réunies.
8. En premier lieu, la commune soutient à juste titre que la seule circonstance que les essais n'aient pas été faits ne rendait pas le vice affectant le chauffage apparent lors de la réception. Il ressort du rapport de l'expert que l'insuffisance du débit de soufflage dans la salle, inférieur à celui de la centrale, résulte vraisemblablement d'une fuite en faux-plafond, à vérifier par démontage, que les diffuseurs en place ne sont pas adaptés à la hauteur de l'installation, que les plénums de soufflage seront à calorifuger avec de la laine de verre, que le pont thermique dû à un volet roulant est à reprendre, et que la régulation sera à reprendre complètement afin d'asservir les batteries électriques de la centrale et la batterie additionnelle au même régulateur et à la même sonde d'ambiance. De tels défauts n'apparaissent pas décelables lors d'une visite de réception et il n'est pas démontré qu'ils auraient été connus lors du déroulement du chantier, les difficultés relevées avec l'entreprise Roumat portant sur l'absence de fourniture de plans d'exécution, notes de calcul et dossier des ouvrages exécutés, ainsi que sur l'absence de contrôle des performances, mais non sur les ouvrages eux-mêmes. Par suite, la commune est fondée à soutenir que le tribunal ne pouvait les regarder comme apparents lors de la réception.
9. En deuxième lieu, la société d'architectes et le bureau d'études AMT, exclusivement chargé du chauffage, n'allèguent pas devant la cour, alors qu'ils n'ont pas attiré l'attention de la commune sur l'absence d'essais, que celle-ci aurait commis une faute en s'abstenant d'émettre une réserve sur ce point. Au demeurant, ladite faute ne serait pas à l'origine du dommage, mais seulement de l'absence de révélation de celui-ci en temps utile pour en obtenir correction. Par suite, la commune est également fondée à soutenir que le tribunal ne pouvait lui opposer une telle faute.
10. En troisième lieu, si la société AMT soutient que l'impropriété à destination ne serait pas démontrée faute de mesures de température, il ressort du rapport de l'expert que son sapiteur a effectué de telles mesures lors d'une réunion contradictoire le 3 décembre 2012, avant de conclure que le dysfonctionnement du système de chauffage compromettait l'utilisation de la salle communale. Dans ces conditions, et alors même que le rapport du sapiteur ne les aurait pas retranscrites, l'insuffisance du chauffage n'est pas sérieusement démentie par l'ensemble des parties alors que les mesures faites le 2 décembre par le bureau d'études SETAH mandaté par la commune, qui peuvent être prises en compte comme un élément d'information alors même qu'elles n'ont pas été effectuées au contradictoire des maîtres d'oeuvre, indiquent des températures substantiellement inférieures aux 19 degrés recommandés. Elle doit donc être regardée comme de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs de cette salle communale, accessible au public hiver comme été. Par suite, la commune de Labastide d'Armagnac, qui a renoncé en appel à ses conclusions dirigées contre l'entreprise Briscadieu pour la réparation de ce désordre, est fondée à demander, sur le fondement de la responsabilité décennale, la condamnation des maîtres d'oeuvre à réparer le préjudice en résultant. Les sociétés LA et AMT ne peuvent utilement faire valoir que l'expert a retenu une responsabilité prépondérante de l'entreprise Roumat, dès lors que les désordres leur sont également imputables tant en ce qui concerne la conception du dispositif que le suivi de son exécution. Elles ne peuvent davantage relever qu'elles n'étaient pas tenues solidairement entre elles par leur contrat avec le maître de l'ouvrage, dès lors que la solidarité peut être judiciairement ordonnée si les constructeurs ont concouru aux mêmes dommages et qu'elles n'établissent pas une répartition précise des missions entre elles excluant toute intervention de l'architecte sur le dispositif de chauffage.
Sur les préjudices :
11. Le montant des dommages dont un maître d'ouvrage est fondé à demander réparation aux constructeurs en raison des désordres qui leur sont imputables correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection. Ces frais comprennent, en règle générale, la taxe sur la valeur ajoutée, élément indissociable du coût des travaux, à moins que le maître de l'ouvrage ne relève d'un régime fiscal qui lui permet normalement de déduire tout ou partie de cette taxe de celle dont il est redevable à raison de ses propres opérations. En vertu du premier alinéa de l'article 256 B du code général des impôts, les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsion dans les conditions de la concurrence. Si l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales a institué un fonds de compensation destiné à permettre progressivement le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par les collectivités territoriales sur leurs dépenses réelles d'investissement, ces dispositions législatives qui ne modifient pas le régime fiscal des opérations desdites collectivités ne font pas obstacle à ce que la taxe sur la valeur ajoutée grevant les travaux de réfection de l'installation de chauffage de la salle polyvalente soit incluse dans le montant de l'indemnité due par les constructeurs à la commune.
12. L'expert a évalué les frais de remise à niveau de l'installation de chauffage à la somme non contestée de 12 865,78 euros hors taxes. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'y ajouter la taxe sur la valeur ajoutée, laquelle doit être calculée, comme le souligne la commune, au taux en vigueur à la date à laquelle la cour se prononce, soit 20 %, ce qui porte l'indemnité due à la somme de 15 439 euros TTC.
13. Si la commune demande également l'indemnisation d'un préjudice de jouissance tant du fait des infiltrations en toiture et au niveau des baies que du dysfonctionnement du chauffage, elle dirige ces conclusions, dont le montant de 27 000 euros n'est au demeurant nullement justifié, à l'encontre des sociétés Briscadieu et Montoise de Miroiterie, dont la responsabilité n'a pas été reconnue. Par suite, ces conclusions ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.
Sur les frais d'expertise :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 9 404,92 euros, par moitié à la charge des sociétés LA et AMT solidairement, et par moitié à la charge de la commune de Labastide d'Armagnac.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
15. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge solidaire des sociétés LA et AMT une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Labastide d'Armagnac au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, et de rejeter le surplus des conclusions de toutes les parties présentées sur le même fondement.
Sur les conclusions en garantie :
16. La société LA et la société AMT sollicitent mutuellement d'être garanties par leur co-traitant dans la mission de maîtrise d'oeuvre. Au regard de la mission spécifique confiée au bureau d'études AMT pour la conception et le suivi de la réalisation du chauffage de la salle, qui conduit à lui attribuer une responsabilité prépondérante dans le désordre affectant cette installation, il y a lieu de condamner celle-ci à garantir la société d'architectes LA de 60 % des condamnations prononcées contre elles par le présent arrêt, et réciproquement de condamner la société LA à garantir la société AMT à hauteur de 40% de ces mêmes condamnations, alors que des essais auraient dû être exigés en fin de réalisation du marché.
Sur les conclusions tendant au remboursement de provisions :
17. Le demandeur qui a obtenu du juge des référés le bénéfice d'une provision doit la reverser en tout ou en partie lorsque le juge du fond rejette sa demande pécuniaire ou lui accorde une somme inférieure au montant de la provision. La société Briscadieu n'ayant pas été condamnée au fond, elle a droit au remboursement de la provision versée à la commune en application de l'ordonnance du juge des référés du 23 juillet 2014, à hauteur de 341,37 euros. En revanche, il résulte de ce qui précède que la condamnation de la société LA excède le montant de la provision de 3 125 euros qu'elle a versée. Par suite, ses conclusions tendant à son remboursement ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Les sociétés LA et AMT sont solidairement condamnées à verser à la commune de Labastide d'Armagnac la somme de 15 439 euros TTC au titre des désordres affectant l'installation de chauffage de la salle polyvalente.
Article 2 : Les sociétés LA et AMT sont solidairement condamnées à verser à la commune de Labastide d'Armagnac la somme de 4 702,46 euros au titre des frais d'expertise.
Article 3 : Le jugement est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Les sociétés LA et AMT sont solidairement condamnées à verser à la commune de Labastide d'Armagnac la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La société LA garantira la société AMT à hauteur de 40% des condamnations prononcées aux articles 1, 2 et 4.
Article 6 : La société AMT garantira la société LA à hauteur de 60% des condamnations prononcées aux articles 1, 2 et 4.
Article 7 : La commune de Labastide d'Armagnac remboursera à la société Briscadieu, si elle ne l'a déjà fait, la somme de 341,37 euros versée à titre de provision.
Article 8 : Le surplus des conclusions d'appel de l'ensemble des parties est rejeté.
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